Pour les 30 ans de la disparition du maître catalan, le Grimaldi Forum propose, du 6 juillet au 8 septembre, une passionnante rétrospective consacrée à « Dali, une histoire de la peinture ». Un voyage exceptionnel dans l’histoire de l’art et les courants artistiques du XXe siècle.
Depuis 18 ans, l’été venu, le Grimaldi Forum confronte l’œil de ses visiteurs aux icônes de l’art moderne. Les grandes rétrospectives consacrées ces dernières années à Andy Warhol, Pablo Picasso ou Francis Bacon en témoignent. Cette année, avec les premières chaleurs de l’été, c’est à l’œuvre de Salvador Dali que les salles ouatées de l’institution culturelle monégasque ouvrent leurs portes.
« L’exposition se prépare en collaboration avec Montse Aguer, directrice des musées Dalí qui a souhaité dévoiler l’artiste sur une période allant de 1912 à 1983 », explique Catherine Alestchenkoff, directrice des événements culturels du Grimaldi Forum, à nos confrères de Monaco Matin. « Nous verrons comment Dalí va s’affranchir des mouvements d’avant-garde européens pour construire son propre univers pictural ».
Un voyage exceptionnel dans l’histoire de l’art
C’est tout l’intérêt annoncé de ce voyage exceptionnel dans l’histoire de la peinture. Car si Salvador Dali n’a cessé de se raconter dans ses toiles, ses écrits et à ses innombrables commentateurs, le fil conducteur de son œuvre protéiforme demeure difficilement saisissable.
La scénographie rassemblant une centaine de peintures, dessins et photographies tentera donc de lever le voile sur ce mystère Dali. Un retour à l’art indispensable tant le personnage excentrique et agaçant qu’il s’est fabriqué occulte parfois l’essentiel d’une œuvre bâtie sur une technique classique sans faille.
Dali et les avant-gardes
Né en 1904 à Figueras, en Espagne, le jeune Dali devient, dans les années 20, un important acteur du milieu artistique et littéraire catalan. Etudiant à l’école des beaux-arts de Madrid, il s’essaie alors à tous les styles. Impressionnisme, réalisme, cubisme… l’œuvre naissante est imprégnée des avant-gardes européennes. C’est l’objet du premier chapitre de l’exposition qui suit l’évolution rapide du peintre vers une technique de plus en plus lisse et fine, dépourvu d’empâtements. Comme Magritte, son illustre contemporain, il déclare en effet avoir eu la révélation de son art après avoir vu la peinture métaphysique de Giorgio De Chirico, inspirateur du surréalisme. Grâce à Miro, il fait d’ailleurs la connaissance d’André Breton et se joint au mouvement.
Les surréalistes le rejettent
Cette période surréaliste, fondatrice, sera bien représentée dans l’exposition du Grimaldi Forum. La mémoire de la femme-enfant de 1929, Le spectre du sex-appeal ou Eléments énigmatiques dans un paysage, de 1934, forment un ensemble cohérent : univers délirants et fantasmagoriques où, derrière la minutie du détail, les êtres en putréfaction sont confondus dans un magma méconnaissable. Ces mises en scènes théâtrales frappent le public et lui garantissent, ainsi que la lisibilité et l’inquiétante étrangeté de ses œuvres, un important succès populaire. Succès redoublé par le personnage, moustaches recourbées en pointes vers le haut, qu’il commence à jouer à la perfection : son délire du verbe, sa logorrhée péremptoire et son sens inégalé de l’autocélébration construisent sa légende médiatique…
C’est l’époque où Dali développe sa fameuse méthode « paranoïaque-critique » qu’il définit comme une « méthode spontanée de connaissance irrationnelle basée sur l’objectivation critique et systématique des associations et interprétations des phénomènes délirants ». Elle est sa principale contribution théorique au mouvement surréaliste qui finit par le rejeter pour « actes contre-révolutionnaires ».
« Devenir classique »
Exclu du groupe par André Breton, le maître catalan débute une nouvelle carrière aux Etats-Unis où il rencontre un succès commercial considérable dans les années 40. Sous l’influence de sa femme Gala, il proclame son désir de « devenir classique » et cite Meissonnier, Millet, Raphaël ou Vermeer comme ses peintres favoris. Dans 50 secrets magiques pour peindre, son manifeste artistique, il proclame : « Faire de l’or avec la peinture au propre et au figuré ». Provocation ? Toujours est-il que les surréalistes, André Breton en tête, y voit la preuve de son évolution vers un mercantilisme sous-jacent. D’où le surnom d’« Avida dollars » qu’ils lui attribuent…
Peu lui en chaut, mais la rupture est profonde entre Dali et ses anciens acolytes. Ce dernier n’a de cesse de régler ses comptes avec le surréalisme et les avant-gardes de toutes sortes tout en ne manquant jamais de réitérer son admiration pour le classicisme et la peinture religieuse – notamment dans son Manifeste mystique. Adulé pour son excentricité ou détesté pour ses provocations, Dali devient réellement un cas à part dans le monde artistique contemporain.
La période mystique
Revenu en Espagne à la fin des années 40, il expérimente une nouvelle période de création, dite « mystico-nucléaire » (La Tentation de Saint Antoine, 1946, Leda atomica, 1949), s’intéressant à la science, à la troisième dimension et aux effets optiques ce qui donnent naissance à ses peintures stéréoscopiques. Combinant tradition et innovation, il s’adonne aux techniques les plus diverses, fabriquant des bijoux, inventant des sculptures ou des assemblages, peignant des oursins.
La dernière étape de son processus créatif est constituée principalement de thèmes religieux empreints de mysticisme. L’Angelus, de Millet, lui inspire un tableau monumental, style auquel il reste fidèle jusqu’à sa mort, en 1989.
Le terminal de l’exposition montrera justement l’influence des maîtres de la peinture occidentale sur le pinceau de Salvador Dali. Velasquez et Raphaël, en particulier, furent les références académiques du plus célèbre représentant de surréalisme. Ultime pied-de-nez de ce provocateur hors pair, le plus anti-modernes des modernes, disparu il y a tout juste trente ans.