Thomas Capiten : « Je voudrais que Thalas devienne une idée, car rien ne peut détruire les idées »
Il y a plusieurs années, après avoir quitté son métier dans l’industrie, une idée folle germe dans l’esprit de Thomas Capiten : parcourir les mers et les océans du monde en catamaran. Au fil du temps, l’expédition Thalas prend forme et devient une véritable aventure familiale. Au-delà du simple défi personnel, le projet se veut pédagogique, un catalyseur de lien entre les jeunes générations et l’environnement marin, aujourd’hui très menacé. À l’heure actuelle, 750 établissements scolaires ont rejoint l’initiative, ainsi que 17 écoles d’ingénieurs et une dizaine de sponsors, y compris la Fondation Prince Albert II de Monaco. Ce qui n’était, au départ, qu’une goutte d’eau dans l’esprit d’un homme, pourrait à terme provoquer une vague d’inspiration et de changement pour la société entière.
Nous rencontrons Thomas quelques jours après son retour de Paris, où il a été invité à présenter Thalas Océan devant des députés de l’Assemblée Nationale. Malgré le contexte social et sanitaire quelque peu tendu, son projet à encore reçu de nombreux soutiens. Dans quelques semaines, il devrait même rencontrer deux ministres français. Si Thomas reste très confiant et optimiste pour la concrétisation de Thalas, dont le départ est prévu à Monaco en septembre, il est encore à la recherche d’un partenaire bancaire. Ce dernier levier essentiel lui permettra, accompagné de son épouse et leurs deux filles, de hisser les voiles pour une expédition qui durera 5 ans.
Vous revenez d’un séjour à Paris où vous avez pu rencontrer des élus et leur présenter Thalas. Est-ce que le contexte social et économique vous inquiète ? Peut-il avoir un impact sur le projet ?
Oui, c’est vrai que le contexte m’inquiète, mais de toute façon je suis d’un naturel inquiet (rires). Lorsque j’ai commencé le travail de recherche de financement en juillet de l’année dernière, j’ai constaté au bout de quatre mois que j’avais du mal à obtenir de l’écoute. Aujourd’hui, on a pris beaucoup de retard car il manque encore des financements, le départ a donc été repoussé au mois de septembre. Malgré tout, ça ne se présente pas mal, loin de là, mais un projet comme celui-ci est toujours compliqué à mettre en place.
Je suis très vigilant à l’actualité, surtout si les bourses décrochent. Avec Thalas, nous avons fait le choix de contacter de grandes entreprises pour qu’elles deviennent partenaires. Elles sont souvent implantées dans le secteur de l’énergie, réputé comme polluant.
En les intégrant à l’aventure, c’est leur donner voix au chapitre, qu’elles puissent se défendre face aux attaques dont elles font l’objet régulièrement. Ce n’est pas en critiquant sans arrêt que l’on peut construire quoi que ce soit. En les liant avec Thalas, on peut prouver qu’une grande entreprise peut s’engager dans une expédition environnementale. D’autant plus que, dans ce secteur, de nombreux efforts ont été fait, comme de vraies campagnes d’investissement dans les énergies alternatives et renouvelables.
Comment résumeriez-vous la visée environnementale de Thalas ?
Concrètement, l’objectif de Thalas est d’aller à la rencontre des « héros », ceux qui agissent au niveau local, et les valoriser en les montrant à un public qui peut encore être sensibilisé aux questions environnementales. D’autres part, on veut leur apporter un soutien logistique, en ingénierie, pour leur permettre d’innover et d’élargir leur champ d’action.
Ces héros sont un point de pivot qui vont aider les enfants à comprendre les mécaniques océaniques et à réaliser que tout ce qui touche à l’environnement est lié de près ou de loin à l’océan.
Je voudrais créer des synergies et du dialogue entre des acteurs qui ne se parlent pas, valoriser les bonnes actions. Ce n’est pas pour dire que tout va bien, mais pour éviter d’être dans la culpabilisation. Mettre en avant les gens qui agissent, c’est aussi donner l’opportunité de les imiter ou de leur donner un petit coup de main.
Aujourd’hui, nous sommes à un tournant. Soit nous préservons notre planète et nous détruisons l’économie actuelle, soit nous changeons d’économie et nous pourrons peut-être trouver un juste milieu.
D’où vous vient ce goût pour l’océan ?
J’ai grandi à Cherbourg, en Normandie. Ma famille possédait un chantier naval, et mon grand-père avait un bateau. Depuis tout petit je vais sur l’eau. Quand j’étais adolescent je me rendais en mobylette jusqu’au au bord de l’océan pour écouter de la musique en regardant les vagues pendant des heures. J’ai toujours habité près de l’océan, ça a toujours été une nécessité de l’avoir près de moi. C’est très difficile à expliquer. Il a toujours fait partie de ma vie. Même quand je suis à la campagne, je le cherche partout.
Avant Thalas, vous travailliez dans l’import/export et le domaine industriel. Pourquoi avoir quitté votre métier ?
J’ai eu deux révélations. La première, il y a un peu moins de dix ans alors que je me trouvais au Gabon dans le cadre de mon activité. Je suis passé par Port-Gentil, une ville très polluée et anarchique, avant de me retrouver face à la forêt tropicale. La nature pure et brute. Mais un peu plus loin, il n’y avait plus de forêt, juste des grosses machines qui coupaient tous les arbres. À ce moment-là, je me suis dis que je participais à cette tragédie. J’étais confronté à un problème moral, qui m’a poussé à changer d’activité.
Mes enfants ont été la deuxième révélation. Ils m’ont aidé à choisir. Mes filles ont quatre et huit ans et je me dois d’agir. Je ne peux pas changer le monde pour elles, mais je ne peux pas non plus rester dans une forme d’inertie. Et si nous continuons ainsi, leur monde est foutu.
Voilà comment j’ai commencé à monter le projet, en me disant que la technologie et les réseaux sociaux étaient nos alliés pour montrer des solutions aux enfants. Après avoir lancé un appel, quelques écoles ont adhéré au projet. Nous en avons aujourd’hui près de 750 dans 35 pays différents.
Avez-vous peur de ce que vous allez trouver, en terme d’impact de l’activité humaine sur l’océan, lors de l’expédition ?
Je sais à quoi m’attendre, mais c’est plutôt l’inverse qui me fait peur. On ne voit pas qu’un poisson est intoxiqué au plastique, ni a quoi ressemble le corail avant qu’il ne blanchisse. J’ai peur que tout soit beau. Si je ne trouve rien de suffisamment clair j’ai peur de ne pas réussir à justifier mon message. Et si la pollution est à ce point évidente, j’aurais encore plus de mal à comprendre pourquoi nous n’agissons pas.
Par quel moyen saurez-vous que Thalas a été une réussite ?
Il est impossible de mesurer la sensibilisation à court terme. La seule quantification possible se fera par le nombre de vues et les interactions, mais les effets réels ne sont pas quantifiables. Nous allons faire partie d’un mouvement, j’aimerais que Thalas devienne un label et ne soit pas seulement notre expédition. Thalas doit devenir une idée, car rien ne peut détruire les idées, mais elles peuvent inspirer d’autres initiatives.