Hector Berlioz à Nice : une belle histoire avec une fin tragique
Les plus grands créateurs des XIXe et XXe siècles ont visité la ville la plus célèbre de la Côte d’Azur, mais dans la vie de notre héros, Nice a joué un rôle fatal.
Printemps 1831 : Sur la route de Florence à Paris, un jeune homme avec une extrême souffrance s’arrête à Nice. Il transporte avec lui une tentative de suicide à Gênes. Maintenant, il veut tuer la fiancée qui l’a trompé à Paris.
Il quitte Florence pour une « vengeance furieuse », après avoir reçu une lettre de la mère de la fiancée : il n’y aura pas de mariage, car la fiancée a choisi un autre – Camille Pleyel, un riche pianiste, propriétaire de la manufacture de pianos « Pleyel et Cie », qui a pour client Frédéric Chopin. Il prépara soigneusement sa vengeance : il avait acheté 2 pistolets, un costume de bonne pour se déguiser et du poison, qu’il utiliserait si les pistolets faisaient défaut.
Mais une fois arrivé à Nice, il changea brusquement tous ses plans : subitement, cette ville fleurissante lui parut comme le remède contre son chagrin d’amour. Paris et la fiancée infidèle attendrons. Il restera dans la ville du bord de mer ensoleillée pour apporter un peu de chaleur dans sa vie noircie par sa depression.
Ce jeune homme s’appelle Hector Berlioz, le plus grand compositeur du XIXe siècle, un innovateur dont le nom a profondément marqué l’histoire de la musique.
Premier séjour à Nice | avril-mai 1831
Berlioz passa un mois à Nice. Cette fois-ci, il se souviendra toujours de cette période comme la plus heureuse de sa vie. Le compositeur louait une chambre à une veuve âgée dans un bâtiment qui abrite aujourd’hui l’Hôtel Suisse juste en face de la mer. La vue depuis sa fenêtre l’inspire pour faire les comparaisons les plus poétiques :
«J’ai un appartement délicieux dont les fenêtres donnent sur la mer. Je suis tout accoutumé au continuel râlement des vagues; le matin, quand j’ouvre ma fenêtre, c’est superbe de voir les crêtes accourir comme la crinière ondoyante d’une troupe de chevaux blancs. Je m’endors au bruit de l’artillerie des ondes, battant en brèche le rocher sur lequel est bâtie ma maison».
Appréciant le risque, il marche sur les rochers et trouve les meilleurs points de vue pour observer les passages des navires. Allongé au soleil, il aime compter les bateaux de pêche partis en mer.
Il y a des créateurs qui sont inspirés par la douleur, c’est le contraire pour Berlioz à Nice : plus il se débarrasse de ses angoisses, plus ses nouvelles compositions sont prolifiques. Lors de son premier voyage, il écrit l’ouverture du « Roi Lear », inspirée par la tragédie de Shakespeare :
«Je vais entreprendre quelqu’immense ouvrage; il ne faut pas que je m’amuse à rêver; ce que je redoute par-dessus tout ce sont les retours de tendresse, les souvenirs de bonheur. En me montrant un avenir, j’oublierai le passé».
Après Nice, Berlioz n’a plus rien à faire à Paris : l’envie de se venger est remplacée par l’envie de créer. Il change ses projets, il part de Nice pour aller à Rome en passant à Gênes et Florence.
Deuxième séjour I Septembre 1844
Treize ans après, Berlioz se rend une deuxième fois à Nice. C’est un médecin qui envoie le compositeur dans la ville balnéaire afin qu’il puisse se remettre rapidement du stress et de la fatigue accumulés lors de ses nombreuses heures de travail. Berlioz n’était pas seulement un compositeur, il était aussi un journaliste musical et un chef d’orchestre très populaire, particulièrement en Allemagne, en Angleterre et en Russie.
Il voulait louer la même chambre que la dernière fois, mais elle était déjà occupée.
Heureusement pour lui, Berlioz fut finalement logé dans un appartement avec un emplacement beaucoup plus intéressant : au coeur de la tour de Bellanda ! Berlioz se souviendra avec une émotion particulière des jours passés dans la tour : il la renommera même à sa façon “La tour Ponchettes” (nom de la rue sur laquelle la tour donne) :
«Ah! ma chère tour de Ponchettes, où j’ai passé tant de douces heures, du haut de laquelle j’ai tant de fois envoyé mon salut matinal à la mer endormie, avant le lever du soleil, tu tressailles de joie sur ta base de rochers, tu te sens heureuse d’être une tour de France!»
Lors de cette visite, il écrira une ouverture qu’il appellera « La tour de Nice » (bien qu’il la retravaille plus tard et lui donnera un nouveau nom « Le Corsaire”). Le lien particulier entre Berlioz et ce lieu est commémoré avec par une la plaque installée sur la terrasse panoramique de la tour.
Troisième séjour | Mars 1868
Si les précédents voyages sur la Côte d’Azur avaient enivré Berlioz de vitalité, cette fois-ci ce fut l’opposé.
Dès sa deuxième visite, Berlioz avait commencé à explorer les alentours de Nice et les autres villes de la Côte d’Azur. Cette fois-ci, il alla à Monaco pour quelques jours et en profita pour se promener sur les rochers. Il avait choisi un chemin bien trop risqué, mais il s’en rendit compte trop tard, lorsqu’il commença à perdre l’équilibre. Il tomba sur les rochers et se blessa le visage. Ensanglanté, le compositeur arriva avec peine à l’hôtel. Il devait quitter Nice le lendemain. Ses malheurs ne s’arrêtent pas là.
À son retour, il a voulu aller sur sa terrasse préférée pour admirer la mer. On pense que ce qui se passe ensuite est dû à un accident vasculaire cérébral. Le compositeur fit soudainement une nouvelle chute sur la terrasse. Son visage déjà paralysé frappa une nouvelle fois le sol. Incapable de se rendre seul chez lui, il accepta l’aide des jeunes hommes qui se promenaient là. Il a passé huit jours dans un état stationnaire, après quoi il rentra chez lui à Paris :
«Ma belle-mère et ma domestique ont fait des cris en me voyant entrer. Depuis lors, je ne quitte pas mon lit, il y a quinze jours que je souffre sans guérir. Mon nez, mes yeux, sont dans un état pitoyable; le médecin, pour me consoler, me dit que c’est un bonheur pour moi d’avoir versé tout ce sang, sans quoi je serais resté sur le coup, le second jour surtout».
Berlioz ne se remettra jamais complètement des effets de ses chutes et de son accident vasculaire cérébral. Il mourra un an après ce voyage. L’histoire se boucle : en 1831 Nice sauve le compositeur du suicide, et 1868 elle le conduit à la mort.
En plus de la plaque commémorative sur la tour de Bellanda, il y a d’autres souvenirs des séjours d’Hector Berlioz à Nice. Par exemple, une des rues centrales de la ville porte son nom, et dans le Parc Albert 1er il y a un buste du compositeur affichant un visage sombre et triste, rayonnant de chagrin. Toutes les bonnes choses ont une fin.