Dmitri Rybolovlev poursuit Sotheby’s en justice aux États-Unis pour complicité de fraude
De nombreux médias internationaux réputés ont révélé la semaine dernière que le propriétaire et Président de l’AS Monaco, Dmitri Rybolovlev poursuit en justice la célèbre maison de ventes aux enchères Sotheby’s, qu’il accuse d’avoir aidé son ancien conseiller de ventes, Yves Bouvier, à surfacturer plusieurs œuvres d’art.
Bien qu’une partie des prétentions initiales ait été rejetée par une Cour américaine, Dmitri Rybolovlev pourrait certainement obtenir une compensation considérable de la part de Sotheby’s. En cause : la maison de ventes aux enchères aurait aidé l’ancien marchand d’art de Rybolovlev, Yves Bouvier, à majorer le prix d’un certain nombre d’œuvres d’art qu’il avait achetées pour le milliardaire.
Le juge fédéral Jesse Furman, de la Cour du District Sud de New-York, a par ailleurs estimé la semaine dernière que Sotheby’s devait répondre aux réclamations de Rybolovlev, qui accuse la maison de ventes aux enchères de renommée internationale d’avoir aidé l’ancien marchand d’art du milliardaire à lui surfacturer plusieurs centaines de millions de dollars lors de l’achat de 15 œuvres d’art.
Le juge Furman a ainsi affirmé que Rybolovlev pouvait engager des poursuites pour fraude pour quatre œuvres, dont Salvator Mundi, une représentation du Christ attribuée à Léonard de Vinci.
« Après huit ans de combat acharné à travers la planète, le collectionneur russe Rybolovlev aura droit à sa bataille judiciaire dans un tribunal, et pas des moindres : dans l’arène de New-York. Un juge fédéral a autorisé la tenue d’un procès pour l’oligarque », a publié The Art Newspaper, célèbre journal spécialisé.
Un milliard d’euros de fraude
Pour rappel, le bras de fer entre Rybolovlev, résident monégasque et collectionneur d’art, et le marchand d’art suisse Yves Bouvier, a débuté en 2015. Le Président de l’AS Monaco avait alors accusé Bouvier de l’avoir escroqué. La fraude était estimée à près d’un milliard d’euros, pour 38 œuvres d’art, sur un total de deux milliards d’euros. Les faits se seraient déroulés entre 2003 et 2015.
Le milliardaire russe avait porté plainte à Monaco (pour des escroqueries commises, selon lui, à l’occasion de transactions de trois tableaux), en Suisse (pour les 38 œuvres d’art), mais aussi à Singapour et à New-York. Bien que la plainte ait été rejetée à Monaco en 2019, Bouvier fait toujours l’objet d’accusations pénales à Genève.
Dans sa plainte contre Sotheby’s Rybolovlev avait demandé à la maison de ventes aux enchères de lui rembourser les 380 millions de dollars, car, selon le Président de l’AS Monaco, Sotheby’s a « aidé et encouragé » Bouvier dans les acquisitions des œuvres d’art.
Selon la plainte américaine de Rybolovlev, Sotheby’s se serait rendue complice, en toute connaissance de cause, des actions frauduleuses de Bouvier lors des transactions des œuvres d’art. L’agence Bloomberg News rapporte que dans sa plainte, le magnat a déclaré avoir découvert que Bouvier, qu’il avait engagé comme conseiller, achetait lui-même les œuvres à un certain prix, avant de les revendre à Rybolovlev pour un autre prix, des millions, voire des dizaines de millions de dollars de plus. Ce qui aurait largement dépassé la commission qu’il aurait dû toucher.
Dans sa décision de 76 pages datée du 1er mars dernier, le juge a rejeté certaines demandes, estimant que pour 11 transactions, les faits étaient prescrits ou les preuves étaient insuffisantes pour affirmer que Sotheby’s était au courant de la fraude. Mais il a également conclu que Sotheby’s devait faire face aux poursuites pour fraude concernant les ventes privées de quatre œuvres d’art : le fameux Salvator Mundi de Leonard de Vinci, Wasserschlangen II de Gustav Klimt (1907), la sculpture Tête d’Amedeo Modigliani (1911-12), ainsi que Le Domaine d’Arnheim de René Magritte (1962).
The Art Newspaper ajoute que le juge américain a considéré que « le dossier prouve » les éléments selon lesquels Rybolovlev a bel et bien été victime de fraude de la part d’Yves Bouvier. Le magazine précise que le jugement explique comment Bouvier a fait d’importants profits sur les œuvres qu’il avait achetées auprès de Sotheby’s. Le document donne également quelques indications sur l’étendue de leurs relations, et pour cause : entre 2005 et 2015, Sotheby’s a enregistré plus de 800 transactions avec le marchand d’art suisse.
Par exemple, selon le jugement, Yves Bouvier aurait acheté l’Homme Assis au Verre de Picasso pour 62 millions de dollars, avant de le revendre à l’entreprise du plaignant pour 107,5 millions le jour même.
Pour sa part, Sotheby’s a déclaré qu’elle ignorait tout de la fraude, selon l’agence de presse Reuters. La maison de ventes aux enchères insiste qu’elle n’a rien à voir avec les accusations de Rybolovlev.
Suffisamment de preuves
Mais selon le juge, la partie plaignante a fourni suffisamment de preuves indiquant que Samuel Valette, le Vice-Président de Sotheby’s chargé des ventes privées, « était au courant de la manipulation des prix de Bouvier et sur le fond de son stratagème. »
Pour ce qui concerne le Salvator Mundi de de Vinci, le juge a statué dans sa décision qu’un « jury pourrait considérer que [les agissements de Sotheby’s] ont apporté une aide substantielle à la fraude de Bouvier et à sa violation des obligations fiduciaires. »
Le document explique également que certaines œuvres ont été vendues à Rybolovlev par Bouvier avant qu’elles n’aient été achetées par le Suisse auprès de Sotheby’s. Ce fut le cas, notamment, pour Le Domaine d’Arnheim de Magritte, facturé 43,5 millions de dollars par Bouvier auprès de Rybolovlev trois jours avant la signature du contrat de vente avec Sotheby’s pour 24,1 millions de dollars.
Dan Kornstein, l’avocat des trusts familiaux deRybolovlev, a déclaré auprès d’Artnet News: « Le juge Furman a minutieusement analysé les faits et a retenu un grand nombre de nos arguments. Bien qu’une partie de transactions impliquant Sotheby’s ne sera pas jugée sur le fond, nos demandes restantes représentent plus de 200 millions de dollars de dommages infligés à nos clients. Ce sont des aspects très importants de ce dossier, et nous attendons avec impatience le procès devant un jury. »
Un accord sans procès ?
De son côté, la maison de ventes aux enchères a déclaré dans un communiqué publié par Artnet News. « Sotheby’s se réjouit de voir que, dans sa décision, la Cour a rejeté la majorité de demandes de la partie plaignante, pour absence de preuves. La Cour a aussi entièrement rejeté la requête en jugement sommaire de la part des plaignants. Sotheby’s continuera de se défendre ardemment et espère obtenir gain de cause sur le reste de l’affaire lors du procès. » La partie plaignante demandait en effet un jugement sommaire [sans procès devant le jury, ndlr], mais le juge Furman a considéré qu’une telle affaire devait faire l’objet d’un procès.
Le juge de New-York a cependant conseillé aux deux parties « d’essayer de résoudre cette affaire sans recourir à un procès qui serait coûteux, risqué et potentiellement embarrassant des deux côtés. » La Cour a donc demandé aux deux parties de « s’entretenir immédiatement sur une perspective d’accord. »
Comme l’explique Reuters, les parties ont accepté de procéder àune médiation, à la demande du juge. Une lettre que l’avocat de Rybolovlev a remise au Tribunal Fédéral de Manhattan indique que « les parties ont toutes deux accepté une médiation en présence d’un magistrat. »
Cependant, Kornstein s’est exprimé dans le Financial Times, précisant que « la partie plaignante est prête à aller jusqu’au procès si la médiation n’aboutit pas à un accord satisfaisant. »
Sotheby’s a également confirmé que la maison de ventes aux enchères et les plaignants « ont accepté les recommandations de la Cour pour engager des négociations et ont accepté de procéder à une médiation en présence d’un magistrat. » Si l’affaire n’est pas résolue grâce à la médiation, le procès devra déterminer si, oui ou non, la maison de ventes a « aidé et encouragé » la fraude présumée.