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Interview

Son année à Monaco, ses projets, son combat pour son fils… Yannick Alleno se confie en interview

yannick alleno
Yannick Alleno © Monte-Carlo SBM

Le Chef du Pavyllon Monte-Carlo, au sein de l’Hôtel Hermitage, s’est notamment exprimé sur l’annonce récente de la remise en liberté du chauffard qui avait percuté Antoine Alleno le 8 mai dernier.

Deux Pavyllon, un même dîner. Tel était le concept du repas « Grand Vintage Collection » proposé les 28 février et 2 mars dernier, respectivement à Paris et à Monaco. Un menu sur-mesure, savamment élaboré par le Chef multi-étoilé Yannick Alleno, en collaboration avec Benoît Gouez, Chef de cave de la prestigieuse maison Moët & Chandon.

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« La collaboration avec Moët & Chandon ne date pas d’aujourd’hui, puisque ça fait une bonne dizaine d’années que nous travaillons ensemble. Je voulais comprendre le vin, comprendre le champagne, et je me suis intéressé à toutes les plus belles maisons du groupe LVMH. J’ai rencontré Benoît et on a eu un vrai coup de foudre mutuel : on se retrouvait sur l’envie de créer quelque chose de nouveau. (…) Nous avons fait énormément de dîners ensemble à travers la planète, mais pour celui-ci, l’idée était de créer un voyage dans le temps : Benoît a les clés d’une sublime cave et nous sommes les seuls en France et à Monaco à servir ces champagnes en magnum, dégorgés sur le tard. Ils ont une fraîcheur exceptionnelle, une authenticité particulière… L’idée était donc de proposer un voyage évolutif sur des années qui pouvaient être similaires, notamment pour voir les incidences du réchauffement climatique sur le champagne. Les raisins sont en stress hydrique et on sent la différence de goût, selon la terre. »

Benoît Gouez et Yannick Alleno – © Monaco Tribune

Ces champagnes de 2015, 2006 et 1999 ont représenté un défi culinaire pour Yannick Alleno : élaborer tout un menu parfaitement accordé aux cuvées proposées. Dans l’assiette, l’on retrouvait, par exemple, un Saint-Pierre rôti à l’avocat, avec raisins blonds au curry et feuilletés de romaine farcies au riz parfumé, le tout accompagné d’un Rosé 2015, « un cheval en liberté, qui court dans les prés avec le crin dans le vent », sourit le Chef. « On a créé une expérience viticole, un accord mets et vins que l’on voulait étonnant. Moët & Chandon fait des grands vins de champagne et les avoir en magnum, ça change tout. Ce sont de vrais vins de gastronomie avec une structure. »

Et effectivement, les saveurs étaient au rendez-vous. Dans l’ambiance calfeutrée du Pavyllon, sur fond musical aux notes lounge, les plats se succèdent, ponctués par les interventions du Chef et de Benoît Gouez. Tous deux ont réussi le pari de proposer un menu délicieux et surprenant, avec par exemple une raviole de courge sucrée-salée, ou des noix de coquilles saint Jacques, émincées à cru et gel acidulé au citron et caviar, tout en accordant chaque plat au champagne adéquat. L’opération, qui a rencontré un franc succès, pourrait être renouvelée à l’avenir.

Un an à Monaco

Ce dîner d’exception était l’occasion pour Yannick Alleno de partager avec nous son bilan de l’année qui vient de s’écouler, puisque la version monégasque du Pavyllon a ouvert ses portes au printemps dernier. « Je suis très satisfait, nous confie-t-il. J’ai eu la chance, ici, de m’appuyer sur l’équipe existante. J’ai agrandi ma famille : je suis tellement fier du travail qu’ils ont pu accomplir. Je pense que c’est aujourd’hui l’une des plus belles équipes de salle et de cuisine que l’on puisse trouver sur la Côte d’Azur. »

Et c’est d’ailleurs dans cet esprit familial que le Chef a décidé de proposer son brunch chaque dimanche : « on est là pour satisfaire la clientèle locale, c’est-à-dire les résidents et les Monégasques. C’est pour eux qu’on a créé Pavyllon. On cherche à faire plaisir, à être un restaurant où l’on peut venir plusieurs fois par mois parce que c’est agréable, calfeutré, discret… Le brunch fait partie, pour moi, des moments essentiels : il faut proposer des endroits où l’on peut venir avec ses enfants ou en amoureux pour bruncher », détaille le Chef.

Yannick fait partie des chefs qui bousculent la cuisine avec respect, il la fait évoluer

Marcel Ravin

En effet, l’ambiance y est douce et conviviale. Des plats originaux et gourmands constituent la carte – de saison – du brunch dominical, où l’on retrouve par exemple une excellente sélection de viennoiseries (avec, notamment, une délicieuse brioche au miel et au safran), des œufs en cocotte d’oursin et caviar ou poché à la sauce homardine, ainsi que le « Good Wich », un sandwich aux macaronis glacés à la scamorza fumée et au jambon italien, que le Chef apprécie particulièrement.

Une formule en service à table, qui diffère de celle proposée au Blue Bay par son confrère et ami, le Chef Marcel Ravin. « Marcel est un exemple pour plein de gamins, c’est un garçon formidable. On est complémentaires : il propose une gastronomie basée sur tout le soleil qu’il a dans les yeux et les mains. Ce qu’il fait est vraiment remarquable, c’est unique », témoigne Yannick Alleno.

Le Chef du Blue Bay, de son côté, ne tarit pas non plus d’éloges sur son ami : « ça fait longtemps que je le connais, que je le suis. J’aime beaucoup ce qu’il fait, et si aujourd’hui nous sommes amis, ce n’est pas pour rien. Il fait partie des chefs qui bousculent la cuisine avec respect, il la fait évoluer. Je suis ravi qu’il soit ici en Principauté, ça donne encore plus de substance à la destination. »

Marcel Ravin
Marcel Ravin – © Monte-Carlo SBM

Le combat pour Antoine

Mais au-delà du respect et de l’admiration que les deux Chefs portent l’un à l’autre, c’est un lien de profonde solidarité et de fraternité qui les unit, en particulier depuis le décès du fils de Yannick Alleno, Antoine, renversé par un chauffard ivre en mai dernier, à l’âge de 24 ans.

« Notre profession, et c’est assez unique, s’est levée d’un seul homme quand c’est arrivé, se souvient Yannick Alleno. On a vu la sensibilité des gens qui font ce métier-là. C’était extrêmement touchant. »

On n’a pas fini d’entendre parler de mon fils

Yannick Alleno

« On a retrouvé cette fraternité, cette solidarité, cet élan autour de la profession, ajoute Marcel Ravin. Beaucoup de gens choisissent ce métier certes pour la passion, mais aussi pour cette sensibilité. »

Le drame a conduit le Chef du Pavyllon et ses proches à créer une association, pour aider les familles qui ont perdu un enfant, de 0 à 25 ans. Pour Yannick Alleno, le combat ne fait que commencer : « on ne traite pas que les violences routières, mais on se bat, par exemple, pour la création du terme « homicide routier. » »

La mesure a été récemment proposée par Gérald Darmanin, en marge de l’affaire Pierre Palmade. Le Chef espère qu’il ne s’agit pas seulement d’un effet d’annonce : « c’est bien qu’il le propose, mais il faut qu’il aille jusqu’au bout. Les annonces doivent se traduire par des faits. C’est un sujet à la fois très politisé et apolitique qui concerne tout le monde, de tous les bords. On doit faire avancer les lois. Il faut qu’on protège nos gamins et qu’on assiste au maximum les proches. Je ne supporte pas d’entendre dire qu’un enfant qui part est « un fait-divers. » C’est une cause nationale ! »

Autre incompréhension pour Yannick Alleno : l’annonce très récente de la remise en liberté – sous contrôle judiciaire – de l’homme qui a percuté Antoine, en attendant le procès prévu pour 2024. « Comment se fait-il que cet homme soit en liberté et qu’il ait été en liberté le jour où il a tué mon fils, s’interroge le Chef. C’est insupportable. Antoine n’avait rien demandé : c’était un gamin plein d’avenir. Quand je l’ai vu sur le trottoir, je me suis dit qu’il était trop précieux à mes yeux pour que sa mort ne serve à rien. »

Une plaque commémorative a par ailleurs été dévoilée dans le 7e arrondissement de Paris, à Beaupassage, un espace piétonnier dédié à la gastronomie. Un hommage au jeune homme qui se destinait lui aussi à un brillant avenir dans le monde de la restauration.

Son nom traversera d’ailleurs prochainement la Manche, grâce à l’ouverture d’un troisième Pavyllon à Londres, au mois de juin, en plein cœur du Four Seasons, à Park Lane : « c’est un projet sublime, conclut le Chef. Londres est un marché très dur, avec de très bons chefs et des produits remarquables. Et on aura un bar, qui portera le nom d’Antoine. Croyez-moi : on n’a pas fini d’entendre parler de mon fils. »