Kazuki Yamada : « A l’OPMC, je peux combiner mon sens japonais de la musique avec l’expression musicale méditerranéenne »
Le Directeur artistique et musical de l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo (OPMC) est reconduit jusqu’en 2026.
Il ne devait rester qu’une saison et, douze ans après sa première rencontre avec l’Orchestre, il fait partie intégrante de la famille de l’OPMC. Le chef d’orchestre et Directeur artistique et musical de l’institution, Kazuki Yamada, évoque avec beaucoup de tendresse son incroyable parcours qui l’a conduit en Principauté.
Né au Japon, où il est resté jusqu’à l’âge de trente ans, c’est par le piano que Kazuki Yamada a découvert le monde de la musique. « J’ai commencé très jeune, nous raconte-t-il. Mais j’avais un problème : j’adorais jouer, mais je détestais m’entraîner. Quand j’ai eu dix ans, j’ai donné un petit concert, mais j’ai eu des trous de mémoire, alors j’ai complètement arrêté. À cette époque, j’ai compris que je devais apprendre et travailler plus. Et après, tout a changé : je me suis intéressé à Mozart, à Haydn, à Beethoven… C’était fantastique ! »
Toujours réfractaire à l’idée de pratiquer le piano, même s’il caressait paradoxalement l’idée de devenir pianiste professionnel, le jeune Kazuki Yamada ne parvient pas à se décider sur son avenir musical. Et c’est à 17 ans que l’adolescent découvre la direction d’orchestre : « j’ai eu l’occasion de diriger une fanfare, dans laquelle jouaient mes amis. Alors, j’ai commencé à étudier, sans être totalement décidé pour autant… Puis, l’un de mes professeurs m’a proposé de diriger un orchestre, certes tout petit, mais professionnel. Alors, j’ai dirigé de tout petits morceaux, d’une dizaine de minutes, et j’étais sous le choc ! J’étais habitué à diriger une fanfare, des instruments à vent… Mais là, pour la première fois, je dirigeais des instruments à cordes. Ils produisaient un tel son autour de moi… Comment le décrire ? J’avais l’impression de m’envoler. »
Suite à cette expérience incroyable, enfin, Kazuki Yamada est convaincu : il deviendra chef d’orchestre. Après avoir longuement étudié au sein de la prestigieuse université des arts de Tokyo, Kazuki Yamada, diplôme en poche, pratique le plus possible. « Quand vous êtes tout juste diplômé, c’est compliqué de tout de suite diriger un orchestre professionnel, confie-t-il. Mais j’ai eu la chance de diriger beaucoup d’orchestres amateurs, parce que le Japon compte un très, très grand nombre de musiciens amateurs. J’y suis donc resté jusqu’à mes 30 ans, l’âge auquel j’ai remporté le Concours de Besançon. »
Un changement de vie radical
Une très belle victoire, car ce prestigieux concours international de jeunes chefs d’orchestre, créé en 1951, procède d’abord à des sélections continentales sur audition, avant de ne conserver que vingt finalistes. « Tout a changé après ça. Juste avant le concours, j’avais déménagé en Europe, parce que mon épouse, qui est aussi japonaise, travaillait au sein de l’Orchestre de Berlin. Et quelques mois après mon mariage, j’avais gagné le concours. C’était une période de grands changements », révèle Kazuki Yamada.
Rejoindre l’OPMC était un vrai défi pour moi
Une fois arrivé sur le continent européen, le chef d’orchestre doit trouver sa place. Orchestre de Paris, Music Academy of Switzerland, Orchestre de la Suisse romande… Kazuki Yamada voyage et perfectionne son art pendant deux ans, avant d’être contacté, en 2011, par l’OPMC. « Le chef d’orchestre Yakov Kreizberg venait de succomber à une longue maladie, et l’Orchestre avait urgemment besoin d’un remplaçant pour un concert qu’il aurait dû diriger. Bien sûr, quand je suis arrivé, l’Orchestre était encore très affecté par la disparition de son chef. Les musiciens n’avaient plus de motivation, ils étaient désorientés. C’était un vrai défi pour moi, d’autant qu’à l’époque je ne parlais pas du tout anglais, ni français. »
Mais la barrière linguistique n’a pas entravé la motivation de Kazuki Yamada qui, à force de travail, fut régulièrement sollicité par Gianluigi Gelmetti, Directeur artistique de l’OPMC, avant de devenir, en 2014, le principal chef d’orchestre invité par l’institution musicale. Deux ans plus tard, Kazuki Yamada en est nommé Directeur artistique et musical.
« Je ne pensais pas rester longtemps, et me voilà déjà à ma huitième saison ici, avoue-t-il dans un sourire. C’est une très belle histoire, et même si nous avons connu le Covid-19 et des temps difficiles, nous avons eu de bons moments tous ensemble. Pendant la pandémie, beaucoup de pays ont dû arrêter leur activité artistique sur une longue période. Mais Monaco est un petit territoire, et nous avons pu reprendre très rapidement, dès juillet 2020. Tout le monde s’est senti reconnaissant, car seul l’OPMC pouvait faire ça. Nous avons pu recréer quelque chose. Je suis tellement heureux ici, nous allons toujours de l’avant. »
Est-ce grâce à ce dynamisme et à ce lien si fort qui unit les membres de l’OPMC que Kazuki Yamada a accepté de rester pour trois saisons supplémentaires ? Très certainement. « En 2026, cela fera dix ans à la tête de l’orchestre. C’est long et formidable à la fois. Et c’est rare, aussi. La plupart du temps, les chefs d’orchestre changent régulièrement. La question, c’est : quelle est la signature de votre orchestre ? »
Quand l’hésitation japonaise rencontre la spontanéité méditerranéenne
Pour Kazuki Yamada, la signature de l’OPMC, c’est cet incroyable mélange entre ses origines japonaises et la culture méditerranéenne. Le chef d’orchestre nous dévoile du même coup cette anecdote : « quand je suis arrivé ici, j’ai été assez choqué. Les gens sont et doivent être très directs. Par exemple, au restaurant, ils choisissent rapidement ce qu’ils veulent manger. Ça ne se passe jamais comme ça au Japon : les gens hésitent et suivent les autres, pour être en harmonie. Dans la mentalité japonaise, hésiter est une bonne chose. Cela veut dire que l’on est flexible, c’est une marque de respect envers les autres. De même, notre façon de nous exprimer doit être la plus courte possible, comme les haïkus, ces poèmes très courts en 17 syllabes, grâce auxquels nous pouvons combiner tant d’idées en si peu de mots. Oui, mon sang et mon éducation sont japonais, mais en même temps, j’adore cette culture latine. Je peux combiner mon sens japonais pour la musique classique, avec l’expression musicale méditerranéenne. En mélangeant les cultures, nous pouvons créer quelque chose de vraiment spécial, d’unique ! »
« Au XXe siècle, poursuit-il, il existait quelques différences entre la musique classique européenne et asiatique. Mais depuis le XXIe siècle, je pense qu’elles sont très similaires. Il y a toujours eu une influence. Au début du XXe siècle, Puccini a créé Mme Butterfly, en s’inspirant du Japon. Claude Debussy a composé La Mer, qui est aussi inspiré de la culture japonaise. C’est magnifique de voir que ma culture natale a pu influencer la musique classique occidentale. Debussy et Ravel ont d’ailleurs eu un impact sur la musique jazz, qui a elle-même influencé la musique africaine et européenne… C’est toujours comme ça, tout est lié d’une manière ou d’une autre. Et c’est très bien. »
C’est magnifique de voir que ma culture natale a pu influencer la musique classique occidentale
L’Orchestre n’hésite donc pas à mélanger les styles, les époques et les origines. Pour preuve, la programmation pour cette saison du Chant de la Terre de Gustav Mahler, œuvre très influencée par la pensée asiatique. « Je suis aussi très heureux de diriger la symphonie n°2 « Résurrection » de Mahler pour l’ouverture de la saison, se réjouit Kazuki Yamada. La philosophie de Mahler est vraiment particulière, avec un beau message : nous allons mourir, mais notre but doit être de vivre. Quoi qu’il arrive, la musique restera après nous. »
L’OPMC ira au Japon en 2024
Et si Kazuki Yamada se dit très sensible à la philosophie de Mahler, c’est un autre grand compositeur qui remporte sa préférence. Wolfgang Amadeus Mozart. « Il existe de très nombreux grands compositeurs, mais si je ne devais en choisir qu’un, ce serait Mozart, déclare-t-il, non sans admiration. C’est pour cela que nous avons créé « Mozart à Monaco », au mois de janvier. Mozart est né le 27 janvier, et moi le 26. C’est peut-être pour cela que je me sens proche de lui, nous sommes deux Verseau… Mozart est très spécial : sa musique a l’air si simple, mais elle a tellement de caractère. Elle change beaucoup, parfois elle paraît joyeuse, en gamme majeure, puis, mesure après mesure, elle passe en mineur, et devient beaucoup plus triste. Parfois, c’est l’inverse. Mozart combinait les deux, et se rapprochait du caractère humain. C’est ça la musique : parfois elle fait rire, parfois elle fait pleurer. Mozart était un génie ! »
Très enthousiaste à propos de la saison qui s’annonce, Kazuki Yamada a de nombreux projets pour la suite. Dont un qui le ravit tout particulièrement : en mai 2024, il emmènera l’OPMC au Japon. « Ce fut un peu compliqué à mettre en place avant, notamment à cause du Covid et des Jeux Olympiques… Mais là, ça y est, le moment est venu ! Il est temps de nous montrer au monde, d’apporter notre culture unique de Monte-Carlo. La direction d’opéras et de ballets me tient également très à cœur et je participerai à un certain nombre de productions », projette-t-il.
Il est temps de nous montrer au monde, d’apporter notre culture unique de Monte-Carlo
En attendant, et sans se départir de sa philosophie japonaise, Kazuki Yamada savoure pleinement chaque journée au sein de l’OPMC : « j’ai de nombreux beaux souvenirs ici, à Monte-Carlo. Mais si je ne devais en choisir qu’un, ce serait aujourd’hui. Et demain sera demain. Ce jour est un moment très spécial, c’est le jour le plus important. Nous avons mené de nombreux projets, de nombreux concerts, mais nous devons savourer l’instant présent. »
Et malgré cette grande sagesse orientale, c’est avec une touche méditerranéenne et sans la moindre hésitation que le chef d’orchestre nous confie son souhait : voir l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo devenir encore plus célèbre à travers le monde et insuffler aux spectateurs la curiosité de découvrir cette maison à nulle autre pareille.