Quelle place pour les personnes sourdes et malentendantes à Monaco ?
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Si des initiatives positives ont été prises, il y a encore des choses à faire pour assurer leur parfaite intégration. Alors que se tient, ce 23 septembre, la Journée Internationale des Langues des Signes, focus sur ce que certaines personnes à Monaco mettent en place pour rompre l’isolement.
Le saviez-vous ? Selon la Fédération mondiale des sourds, il existe 70 millions de personnes sourdes ou malentendantes à travers le monde. La France en compterait environ sept millions et Monaco, une dizaine.
Parmi elles, Melahat Zorlu, enfant du pays née en Principauté. La jeune femme, que vous avez peut-être déjà vue sur Monaco Info où elle a signé Monacoscope pendant un temps, a co-fondé l’AMPS : l’association monégasque pour les personnes sourdes, en 2015.
« Avant l’association, chaque sourd était isolé dans son coin, il n’y avait rien pour eux. C’était important de pouvoir s’appuyer sur une structure, pour avoir un soutien et être ensemble. C’est comme ça que l’AMPS est née », raconte Melahat.
L’objectif de l’association est donc de rompre cet isolement en Principauté, notamment à travers le sport, qui est « l’outil numéro 1 pour s’intégrer, pour un sourd. Les entendants savent dire en général « bonjour, ça va ? » Et après, ils bloquent et la communication s’arrête là. Quand on joue, au moins, on n’a pas besoin de parler. »
La langue des signes à l’école ?
Mais Melahat le sait bien : la pratique sportive est loin de suffire pour permettre aux personnes sourdes de mener une vie « normale. » Melahat se souvient notamment de ses années scolaires difficiles. « J’ai souffert à l’école, j’y allais pour rien, regrette-t-elle. Je perdais toutes les informations, le soir j’étais obligée de tout rattraper avec les manuels scolaires, je n’avais pas de vie sociale. Je passais mon temps à travailler, travailler. J’ai réussi malgré tout, mais grâce au travail que je faisais le soir. Je ne m’amusais pas, je n‘avais pas d’activités, à part du sport, parce que je devais tout rattraper. »
Et c’est à l’école, justement, que la jeune femme estime que tout doit commencer. « L’idéal serait de débuter avec les enfants, via une option scolaire », projette-t-elle. L’an dernier, d’ailleurs, le Lycée Technique et Hôtelier de Monaco aurait proposé un projet en ce sens, passé depuis au Conseil national.
« C’est un très beau projet, atteste Melahat. L’idée du professeur qui l’a proposé est de faire comprendre aux entendants que c’est à eux de venir vers les sourds. Nous sommes une minorité, nous ne pouvons pas solliciter tout le temps les entendants. »
La co-fondatrice de l’AMPS a pourtant essayé, notamment en 2017, en participant à un concours lancé par la Jeune Chambre Economique de Monaco, où elle a remporté le troisième prix : « je voulais, par exemple, former les fonctionnaires dans les administrations en préparant un livrer de sensibilisation. (…) J’ai voulu aussi proposer une formation en LSF pour les adultes et intégrer un Ipad en langue des signes dans les musées de la Principauté pour les touristes sourds. Après tout, on a bien des audio-guides dans toutes les langues. Ça pourrait en plus donner une très belle image de Monaco à travers le monde, et attirer les touristes sourds. (…) J’ai sollicité des structures, des entreprises… Tout le monde m’a dit que c’était bien, mais rien n’a été fait. Alors, j’ai abandonné. »
Aujourd’hui, les détails de ce grand projet sont soigneusement conservés dans une pochette. Et même si le Nouveau Musée National de Monaco l’a soutenue en lui proposant de signer une visite d’exposition pour de jeunes élèves sourds, pour l’heure, Melahat se sent quelque peu résignée. « Même si des gens s’intéressent à la langue des signes, surtout maintenant qu’elle est à la mode, ça n’aboutit pas. Ça demande de l’engagement, de l’investissement. Il y a encore beaucoup à faire à Monaco », affirme-t-elle.
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La Princesse Charlène, sensibilisée à cette cause
Malgré tout, la jeune femme espère que, petit à petit, l’apprentissage de la langue des signes ne sera plus assimilé au handicap et à ses difficultés, mais plutôt à un enrichissement culturel. En témoigne, par exemple, la récente mise au jour des bienfaits de la langue des signes pour communiquer avec les bébés.
Et même si le chemin à faire est encore long, Melahat reconnaît tout de même quelques avancées à Monaco pour aider les personnes sourdes. Des campagnes de sensibilisation sont notamment menées dans les établissements scolaires et l’école des Révoires propose chaque année une journée du handicap.
De même, le Nouveau Musée National de Monaco a contacté Melahat pour préparer la visite d’une exposition en langue des signes, à destination d’élèves sourds issus d’une école spécialisée à Nice. « Même si tout n’a pas été facile, j’ai quand même eu de belles expériences, nuance-t-elle. Lorsque j’étais surveillante au Lycée Albert Ier, une CPE a prévenu tout le monde que j’étais sourde et qu’il fallait faire attention et tout s’est très bien passé. Je pense d’ailleurs que, pour intégrer au mieux un élève sourd à l’école, il faut prévenir les autres enfants et leur expliquer que c’est à eux de faire l’effort. »
Mais l’un des souvenirs les plus marquants de la jeune femme reste sa rencontre avec la Princesse Charlène : « quand elle a vu que j’étais sourde, elle m’a parlé en langue des signes ! En fait, à l’époque où elle nageait, son partenaire de natation était sourd. C’est comme ça qu’elle a appris, elle est sensibilisée à cette cause. Et c’est grâce à elle que j’ai pu rejoindre Monaco Info. (…) Je pense aussi que si le Prince Albert II avait su pour mon projet, il aurait voulu le mettre en place. Le Prince est à l’écoute : je l’ai rencontré lorsque j’étais étudiante à Nice. A l’époque, je prenais le train tous les jours, et il y avait tout le temps des grèves, des retards… J’en ai parlé au Prince, et quelques jours après, un article est sorti dans la presse, disant que le Souverain n’était pas content pour ces problèmes de train. C’est quelqu’un qui est à l’écoute. »
Melahat espère désormais que d’autres personnalités seront tout aussi engagées et feront passer les bons messages. A commencer par celui-ci : c’est aux entendants de faire le premier pas.