Des sandwiches du Monte-Carlo Bar à la Direction du Café de Paris : Eric Gorjux, la recette du succès
Itinéraire d’un homme au parcours atypique.
« Ma vie est faite de croisements. » Difficile de contredire Eric Gorjux sur ce point. Aujourd’hui, le Directeur du nouveau Café de Paris réalise le parcours qui l’a mené à la tête d’une telle institution, récemment inaugurée par le Couple Princier.
« J’ai eu l’honneur et le privilège de dîner à la table de Leurs Altesses Sérénissimes, le Prince et la Princesse de Monaco, ce qui m’a permis d’échanger avec Leurs invités. C’était la première fois que je me faisais servir par mes équipes, et les mets que nous avons dégustés étaient à la hauteur de nos attentes. Et j’ai pu voir les réactions en direct de la Famille Princière, du Président-Délégué de Monte-Carlo SBM, des invités… De l’entrée au dessert, ce fut une réussite totale et l’ambiance était détendue. Tous les clients étaient enchantés, on a reçu beaucoup de messages de remerciements par la suite », raconte-t-il.
Et l’Histoire entre Eric Gorjux et le monde de la restauration a débuté bien plus tôt qu’on ne l’imagine, il y a un peu plus de trente ans. « Quand je suis arrivé de Corse, où j’ai grandi, je rejoignais mon père qui travaillait en Principauté. Et il m’a donné rendez-vous… au Café de Paris ! Je ne connaissais pas l’établissement et en arrivant, j’ai adoré le lieu. Je venais de mon petit village corse, je connaissais un peu le métier de la restauration puisque j’avais déjà travaillé dans des établissements de plage, mais ces restaurants étaient simples », se souvient-il.
Un seul souhait : rester à Monaco
De Monaco, Eric Gorjux ne connaît alors que peu de choses. Quelques souvenirs d’enfance de Grands Prix, où il était juché sur les épaules de son père, ancien pilote de rallye et passionné de sports mécaniques. Et puis, désormais, ce Café de Paris. Âgé d’à peine 22 ans à l’époque, Eric Gorjux souhaite rester en Principauté : « mon père m’a aidé à trouver un premier job à Monaco, au Monte-Carlo Bar, sur la Place d’Armes. J’ai commencé en septembre 1992, comme « simple » commis, runner, chef de rang, barman… Le premier soir, j’étais en train de couper des paninis et j’ai vu Ayrton Senna faire son footing. J’en ai lâché mon bout de pain : c’était mon idole. Mon collègue m’a fait comprendre que j’allais le voir souvent à Monaco. Après cela, chaque fois qu’il passait devant chez nous, je tapais à la vitre pour lui faire coucou ! Un soir, il est venu me commander un sandwich au fromage. Je tremblais, je lui ai tendu le sandwich, il a enlevé le pain, a juste pris l’emmental et l’a mangé. Il m’a demandé : « combien je vous dois ? » J’ai répondu : « rien », d’un sourire admiratif. Quelques mois plus tard, c’était le Grand Prix, et il m’a donné un pass paddock. C’est cette histoire qui m’a attaché à Monaco : j’ai compris tout de suite que tout pouvait arriver ici. »
J’ai compris que tout pouvait arriver à Monaco
Mais après un an au Monte-Carlo Bar, c’est la douche froide. A la suite de difficultés financières, l’établissement est contraint de licencier tout son personnel. « Je me suis retrouvé le bec dans l’eau, souffle Eric Gorjux. J’ai quitté Monaco, je suis allé à Nice et je me suis retrouvé dans un petit magasin de vêtements, très décalés, qui me correspondaient. J’ai repris la gestion et, comme j’étais DJ depuis l’âge de 16 ans, je mixais également partout en Europe. Pendant cinq ans, je n’ai vécu que de ça. J’ai voulu m’installer et en 2001, j’ai investi dans un second magasin à Nice. Ce fut un immense succès. »
De Nice à Paris
Décidant alors de tenter à nouveau sa chance dans la restauration, Eric Gorjux retourne à Monaco pour intégrer le Zebra Square comme serveur et chef de rang. Devenu maître d’hôtel, il accepte ensuite de suivre son directeur au prestigieux hôtel Carlton.
Après quelques mois passés sur la Croisette, le jeune maître d’hôtel et sa compagne de l’époque décident de partir à Paris : « Une fois à Paris, j’ai parcouru la ville avec mon sourire et mes CV, et j’ai trouvé du travail tout de suite. J’ai rejoint le groupe des Frères Blanc, et on m’a rapidement basculé sur la plus grosse brasserie du groupe, le Pied de Cochon. »
Et ce fut un véritable coup de pouce du destin : « Ça a changé ma carrière. J’ai tout appris en deux ans. Je travaillais de six heures du matin à 21 heures. J’étais économe le matin et maître d’hôtel l’après-midi. Puis, j’ai progressé pour devenir chef économe et responsable maître d’hôtel. J’ai beaucoup appris avec le Directeur, qui vérifiait chaque détail. »
Des rencontres décisives
Mais en 2007, après quelques années et des souvenirs mémorables, Eric Gorjux a le mal du pays. Un jour d’août sous la pluie parisienne, une petite éclaircie dans le ciel devient un déclic : il faut rentrer dans le sud. Le signe est d’autant plus évident que son épouse a une proposition d’emploi à Cap 3000. « En 48 heures, on est redescendus comme on était montés. J’ai pris contact avec le Maya Bay à Monaco, qui recherchait un responsable pour la création du restaurant japonais. J’ai passé de nombreux entretiens, alors entretemps, j’ai travaillé comme Directeur au Pastis, à Cannes. »
Finalement contacté par Jean-Victor Pastor, propriétaire du Maya Bay, Eric Gorjux signe son retour à Monaco et assure la direction de l’établissement pendant quatre ans. « J’ai développé mon carnet d’adresses sans même chercher à le faire. Et un jour, la Monte-Carlo Société des Bains de Mer (SBM) m’a proposé de rejoindre le Buddha-Bar qui allait ouvrir. J’ai hésité longtemps, puis j’ai franchi le cap. L’ouverture était géniale, je retrouvais la musique et j’étais très épanoui. Personne ne savait que j’étais DJ, j’ai même apporté mes clés USB pour mixer un soir. Tout le monde a halluciné, j’ai mis le feu au Buddha. Les gens dansaient même sur les banquettes », dévoile-t-il, non sans fierté.
Décidant de mettre fin à son contrat en 2013, Eric Gorjux intègre une première fois le Café de Paris comme attaché de Direction, le temps d’une saison. Et alors qu’il boit un verre au Bar américain, se demandant ce qu’il fera ensuite, il rencontre par hasard une ancienne cliente du Maya Bay à la recherche d’un assistant personnel. « Il me faut quelqu’un comme vous », affirme-t-elle.
« En 2016, j’ai décidé d’arrêter. Et juste après avoir déposé pour la dernière fois la voiture familiale au parking, j’ai croisé par hasard l’un de mes amis, Piero Manara. Et il m’a dit : « je connais des gens qui ouvrent un restaurant et qui cherchent un directeur. » » Le futur restaurant s’appelle Rampoldi.
« Ne jamais oublier d’où l’on vient »
« Le soir même, je passais l’entretien avec les propriétaires. Tout s’est très bien passé pendant deux ans. Un soir, Edouard Cluzel, alors employé à la SBM, vient me voir et me dit que le groupe compte ouvrir un restaurant Coya à Monaco et qu’il pensait à moi pour la direction. Je connaissais déjà le Coya de Londres, et j’avais été conquis. J’ai accepté tout de suite. J’y suis resté quatre ans, jusqu’au jour où l’ancien Président-Délégué de la SBM, Jean-Luc Biamonti, m’a demandé ce que je pensais du Café de Paris. Et il m’a proposé de prendre la direction du futur restaurant. J’ai accepté, car c’était un vrai challenge. J’allais mettre les pieds dans un établissement iconique, qui, en quelque sorte, appartient à tous. Je le vois tous les jours : toutes les familles de Monaco ont leur histoire au Café de Paris. Les déjeuners du dimanche, les anniversaires, les fêtes… », détaille Eric Gorjux.
Toutes les familles de Monaco ont leur histoire au Café de Paris
Un parcours intense, constitué de hauts et de bas, et qui a inspiré au Directeur son leitmotiv : il ne faut jamais oublier d’où l’on vient. « C’est ma philosophie, appuie-t-il. On peut recevoir des gens très, très importants au Café de Paris, et c’est incroyable, mais ce que j’aime aussi, c’est recevoir un petit couple qui a économisé pendant un mois pour venir dîner ici, et je lui donnerai la meilleure table ! (…) Je sais ce que c’est d’avoir des moments de stress. Je remercie le ciel de ce qu’il m’arrive aujourd’hui, mais je sais aussi que c’est grâce à mon travail que j’en suis là. Je suis toujours resté moi-même. J’ai gardé mes racines en Corse, je n’oublie pas d’où je viens. »
Son meilleur conseil ? « N’écoutez personne. Quand on vous dit de ne pas faire quelque chose, faites-le. Si vous sentez la petite flamme, c’est qu’il faut y aller. Les gens veulent nous conseiller, mais ils ne sont pas dans notre tête, ni dans notre cœur. Tant qu’on a la santé, il faut prendre des risques. La vie est faite de risques : ratez, recommencez, ratez, recommencez. On apprend plus dans l’échec que dans la réussite. La réussite apporte la lumière, mais l’échec pose les bases, construit le socle », affirme-t-il.
Désormais, son projet est d’installer pleinement le nouveau Café de Paris dans le parcours monégasque : « quand on vient à Monaco, on va boire un verre au bar américain, on va jouer au Casino… Il faut pérenniser le Café de Paris dans ce parcours. Mais on va y arriver, j’en suis sûr ! » Qui en douterait ? Après tout, son instinct ne l’a jamais trompé !