Récit

Un homme devant le tribunal de Monaco pour le harcèlement et la diffusion de photos intimes de son ex-compagne

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Malgré les injonctions de l'avocat de la victime, le prévenu a continué de la contacter - © Unsplash

Certains clichés auraient même été pris sans le consentement de la victime.

C’est un dossier particulièrement volumineux auquel s’est attaqué, le 12 décembre dernier, le tribunal de Monaco. L’affaire concerne un résident monégasque accusé d’avoir, entre octobre 2018 et novembre 2019, harcelé son ex-compagne et porté atteinte à sa vie privée et familiale en ayant pris des clichés intimes sans le consentement de sa victime et en ayant menacé de les diffuser à son entourage. Des photos auraient d’ailleurs été envoyées à la mère et à l’ex-mari de Madame, absente lors du procès.

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Selon le résumé des faits établi par le Président du tribunal, tout commence en 2016, où le prévenu et la victime, tous deux mariés chacun de leur côté, entament une liaison qui dure deux ans. En 2018, Madame décide de mettre fin à la relation. Une situation difficile à accepter pour Monsieur, qui menace tout d’abord de se suicider, avant de menacer Madame de diffuser des clichés intimes à son entourage, et notamment à sa fille.

Comme le rappelle le Président, la victime – qui habitait Londres à l’époque – aurait alors engagé un avocat londonien, qui aurait fait parvenir à Monsieur une première injonction lui demandant d’arrêter tout contact avec sa cliente. Une nouvelle injonction est envoyée un mois plus tard, la première n’ayant pas été respectée. Malgré les courriers, le prévenu aurait ensuite adressé de nombreux messages à Madame. Il aurait également « sali la réputation de la victime » en la dénigrant auprès de son entourage.

Ce sont donc deux délits qui ont été étudiés le 12 décembre dernier : d’une part l’atteinte à la vie privée et familiale, et d’autre part, le harcèlement.

Des photos « propres » et « sales »

Dans un premier temps, c’est sur l’atteinte à la vie privée et familiale que le Président s’est penché. « Vous êtes accusé d’avoir pris des clichés intimes sans le consentement de Madame et d’avoir menacé de les diffuser. Vous avez d’ailleurs bel et bien envoyé une photo à la mère de Madame, ainsi qu’à son mari de l’époque. Le dossier fait la distinction entre des photos « propres » en lingerie et petite tenue, sans doute prises par Madame, et des photos « sales », nettement plus intimes, qui elles, semblent avoir été prises sans son consentement. Dans quel cadre avez-vous eu ces photos ? »

« C’est elle qui me les avait transmises », répond immédiatement le prévenu. « Mais ces messages de menaces, vous les avez envoyés ? », questionne le Président. L’accusé semble hésitant : « je suppose que oui… C’était une période très difficile pour moi, entre ma femme, mes enfants, mon travail… »

L’accusé évoque ensuite une relation « sexuellement toxique » avec la victime : « on avait des relations intimes en vidéo, elle aussi avait des photos de moi. Rien n’a été pris à son insu. Je n’aurais jamais fait tout cela avec une autre femme, j’étais drogué au sexe. (…) Après la rupture, on s’engueulait et on se menaçait tous les deux, la séparation avait été brutale mais j’étais encore très amoureux. Je n’aurais jamais envoyé ces photos. »

Des captures d’écran ?

« Admettons, répond le Président. Mais l’avez-vous menacée de le faire ? » « Non, assure le prévenu. Je suis croyant, c’est un péché mortel. » L’homme admet tout de même avoir envoyé les photos « propres », mais pas les « sales », au motif que « ce n’est pas la même chose. »

« Reconnaissez-vous le premier délit, finit par s’agacer le Président. C’est-à-dire d’avoir envoyé une photo de Madame à sa mère et à son désormais ex-mari, d’avoir pris des clichés intimes sans son consentement et d’avoir menacé de les diffuser ? » « Non, j’ai juste envoyé une photo à sa mère », répond le prévenu.

Pour tenter de faire la lumière sur cette histoire de clichés et de consentement, le Procureur intervient. « Nul doute qu’au cours de la relation, ils ont eu des échanges par webcam, mais Madame a-t-elle consenti aux captures d’écran qui ont été faites ? » « Elle était au courant », affirme le prévenu. « Cela ne signifie pas le consentement », pointe le Procureur. « Elle en avait aussi de moi, je vous l’ai dit, c’était des jeux, j’étais drogué », rétorque Monsieur.

De nombreux messages envoyés

A été ensuite abordé le harcèlement, le deuxième délit reproché au prévenu. En cause, de très nombreux messages, au contenu cependant non agressif. « Quel était le but de ces messages ? Qu’attendiez-vous d’elle, sachant qu’elle avait déjà porté plainte contre vous et que vous aviez reçu des injonctions de son avocat ? », questionne le Président. « J’espérais comprendre ce qui s’était passé, pourquoi elle m’avait quitté du jour au lendemain. J’étais encore amoureux, je voulais savoir où elle en était… »

« Vous avez cependant admis depuis que vous vouliez casser l’image de Madame », avance le Président. « J’étais sous le coup de la colère, de la déception… »

Ces messages et le dénigrement dont la victime a fait l’objet ont-ils eu des conséquences ? D’après les deux experts qui l’ont entendue, Madame souffrirait depuis d’un syndrome post-traumatique. « Elle a manipulé les experts, elle est d’une intelligence rare. La preuve, elle m’a manipulé », affirme le prévenu. « Oui, mais vous n’êtes pas psychiatre, rétorque le Président. Les experts disent qu’elle a été sous anxiolytiques et antidépresseurs depuis la rupture. »

« Sur les réseaux sociaux, elle n’a pas l’air traumatisée. Et pour avoir pris beaucoup d’anxiolytiques lorsque j’étais dans les affaires, je sais qu’un médecin peut en donner facilement », souffle le mis en cause.

« Un enfer » pour la victime

Les réponses du prévenu n’ont pas manqué de faire réagir Me Pasquier-Ciulla, avocate de la victime. « Ma cliente vit un cauchemar ! C’est une chose de menacer de se suicider, c’en est une autre de menacer d’envoyer des photos intimes, y compris à la fille mineure de ma cliente. Madame avait fait envoyer une injonction via son avocat, c’est quand même clair ! Est-ce que ça a servi ? Non, Monsieur a continué. Je suis sidérée qu’il se place en victime, alors qu’il l’a salie durant la procédure et la salit encore aujourd’hui. Il n’a formulé aucune excuse ! Cette procédure a été un enfer pour ma cliente, il a fallu transférer les photos, se soumettre à des expertises, subir le dénigrement, l’isolement… Monsieur a contacté TOUT son entourage à elle, y compris son nouveau compagnon, qui a mis fin à la relation ! C’est un enfer, presque un viol ! Et tout ça parce que Madame a dit « je ne veux plus être avec toi » ? On se fiche de la gueule du monde, c’est scandaleux ! Vous vouliez casser son image, Monsieur ? Bravo, vous avez réussi. Ma cliente a perdu 20 kilos, elle arrivait à peine à parler la dernière fois que je l’ai vue. Tout ça pour avoir voulu rompre ? Le préjudice est irréparable, ma cliente n’est plus la même femme qu’elle était avant cette affaire. Elle a dû déménager, son compagnon l’a quittée, elle ne peut plus travailler », a martelé Me Pasquier-Ciulla, qui demande 134 000 euros de dommages et intérêts.

« J’espère une peine sévère pour que Monsieur apprenne à respecter les femmes et ses partenaires, et pour qu’il comprenne que quand c’est non, c’est non », a-t-elle conclu.

« Il y a eu une intention de nuire inéluctable, atteste le Procureur au moment de ses réquisitions. Les premiers messages étaient des échanges bilatéraux consécutifs à la rupture, donc je demande la relaxe pour cette période précise, antérieure à avril 2019. En revanche, je demande une condamnation pour le harcèlement qui a débuté ensuite, malgré les injonctions de l’avocat. Pour ce qui concerne l’atteinte à la vie privée : Monsieur a diffusé des clichés intimes à deux reprises, auprès de la mère de Madame et auprès de son ex-mari. Il l’a reconnu lors de l’instruction. » Le Procureur réclame ainsi six mois de prison avec sursis et 3 000 euros d’amende.

« Madame sait qu’elle n’est pas la victime idéale »

« Monsieur ne se place pas en victime, comme l’a affirmé ma consoeur, a rétorqué Me Sosso, avocat de la Défense. Et lui a fait l’effort de venir à l’audience, contrairement à Madame. Peut-être n’est-elle pas là parce qu’elle sait qu’elle n’est pas la victime idéale, et qu’on va lui poser quelques questions… Leur relation était très particulière, et Monsieur entretenait Madame financièrement. Il faut respecter les femmes, mais les femmes doivent se respecter elles-mêmes ! Pour ce qui concerne les messages envoyés par mon client, ils n’étaient pas agressifs et avaient pour but de prendre des nouvelles. On a vu pire comme harcèlement ! D’autant que Madame l’avait débloqué sur les réseaux sociaux et avaient entamé la conversation, comment lui reprocher d’avoir repris les échanges ? [Ces échanges semblent avoir été cependant initiés par un pirate informatique, qui aurait usurpé l’identité de la victime, ndlr]. Pour les photos, nous ne savons pas comment elles ont été prises. Mais c’était leur façon de vivre leur sexualité. Le fait d’en avoir envoyé une à la mère de Madame est le fruit d’une situation très particulière, mettez-vous dans le contexte et essayez de comprendre, de faire preuve d’indulgence. Quant à l’état de santé « dégradé » de Madame… Elle s’éclate et elle fait la fête ! Je trouve les demandes des parties civiles complètement démesurées. »

Exprimant « d’énormes regrets », le prévenu a reconnu avoir commis des erreurs, tout en précisant qu’il respecte les femmes.

Rendu ce mardi 9 janvier, le jugement déclare l’accusé coupable du délit d’atteinte à la vie privée. Le tribunal a cependant réduit la période de prévention en la faisant débuter au 29 novembre 2018. Monsieur est également déclaré coupable de harcèlement pour la période comprise entre avril 2019 et le 26 novembre 2019. Pour l’ensemble de ces faits il est condamné à quatre mois de prison avec sursis. Il est toutefois relaxé pour les autres faits qui lui étaient reprochés.

Il devra également verser à Madame, reconnue partie civile, 3 000 euros de dommages et intérêts (soit 2 000 euros pour le préjudice moral et 1 000 pour les frais de justice).