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Récit

5 ans de prison ferme pour un chauffard qui a causé la mort d’un homme à Monaco 

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La victime, un voiturier du Monte-Carlo Bay de 54 ans, rentrait de sa journée de travail - © Google Street View

Après près d’un an et demi d’enquête, la sentence est tombée lundi 11 mars dernier au cours d’un procès émouvant auquel la femme et l’un des fils du défunt ont assisté. 

En prison depuis exactement 15 mois, un ressortissant ukrainien arrive dans le box menotté et encadré par deux policiers. Cinq délits lui sont reprochés : défaut d’assurance, conduite en état d’ivresse manifeste, refus de se soumettre à l’injonction préalable aux stupéfiants, refus de se soumettre à une épreuve de dépistage du taux d’alcool et le principal : homicide involontaire. 

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Ce quarantenaire a en effet commis l’irréparable le 7 janvier 2023 en percutant avec son 4×4 un homme en trois roues qui circulait sur la voie d’à côté, dans le sens opposé au sien. Très probablement sous l’emprise de l’alcool après avoir ingéré du champagne, du whisky et de la tequila, et avec une vitesse excessive d’environ 90 km/h au lieu des 50 affichés, le chauffard s’est déporté quasiment entièrement sur la voie de gauche en plein tournant, dans le tunnel de l’IM2S. Si le scooter a bien tenté de se déporter, le choc était inévitable. Ce soir-là, un peu avant 23 heures, l’Ukrainien et sa famille qui avaient quitté leur pays suite à la guerre, fêtaient le Noël orthodoxe. Une soirée bien arrosée qui a commencé au domicile familial à Èze, et qui devait se poursuivre à Monaco.

Les images projetées au procès

Au moment de projeter les images de la collision dans la salle d’audience, le président invite les proches à quitter la salle, ce qu’ils feront. Sur les vidéos, on aperçoit un premier scooter arriver, il constituera le premier témoin de la conduite dangereuse du chauffard : « sur le coup, je me suis dit qu’il était fou de rouler aussi vite », a-t-il déclaré aux forces de l’ordre. Cet homme était d’ailleurs l’un des premiers sur les lieux du drame, ayant fait demi-tour après le violent bruit survenu au moment du choc, mais qui n’aurait pas été entendu par le conducteur de la Mercedes. « Je n’ai rien vu, rien entendu. J’ai cru simplement que j’avais évité le mur, explique-t-il à l’aide d’une interprète en langue russe. Ma mère, qui était dans le véhicule avec ma fille et ma copine, a crié très fort, et c’est pour cela que je me suis arrêté quelques mètres plus loin. » 

Le président du tribunal correctionnel le confirme, l’homme s’est arrêté plus loin, et très exactement à 175 mètres de la collision.  Jérôme Fougeras Lavergnolle s’étonne : « votre mère va courir vers le point d’impact tandis que vous, vous allez la suivre sans vous précipiter. Vous allez même d’abord prendre le temps de vérifier l’état de votre voiture. » Sur d’autres images qualifiées « d’insoutenables » par les magistrats, ces derniers décriront en revanche le comportement exemplaire des personnes qui ont tenté de sauver le scootériste.

« Une dame a commencé le massage cardiaque jusqu’à ce qu’un membre du personnel de l’IM2S à proximité prenne le relais en attendant l’arrivée des secours. En revanche vous, Monsieur, vous sembliez détaché de ce qu’il était en train de se passer. Vous dites que vous vous êtes rapproché de la victime pour prendre son pouls, mais vous n’apparaissez à aucun moment auprès d’elle sur les images de vidéosurveillance. On vous voit cependant retourner vers votre voiture, cette fois en courant, pour prendre votre téléphone et contacter un avocat », poursuit le juge.

Un délinquant routier 

Rapidement dépêchés sur les lieux, les agents de la Sûreté Publique remarqueront chez cet homme les signes de l’ivresse : il titube, ses yeux brillent et il empeste l’alcool. Il refusera cependant de se soumettre au test d’alcoolémie, ainsi qu’au dépistage de drogue, ce qui constitue deux délits à Monaco. Transporté au Centre Hospitalier Princesse Grace pour une prise de sang, il refuse à nouveau, comme il a refusé de signer les différents procès-verbaux le concernant. « Je ne connaissais pas la langue ni la loi, je voulais attendre l’arrivée de mon avocat », s’explique-t-il. Placé en garde à vue, il sera inculpé le 9 janvier avant d’être placé en détention provisoire.

Si l’enquête montrera qu’au moment de l’accident aucun des deux conducteurs n’était au téléphone, et que la victime portait par ailleurs des gants et un casque, et n’avait consommé ni drogue ni alcool, le prévenu avancera tous types d’arguments pour tenter de se dédouaner : « l’éclairage du tunnel était défaillant et la route est particulièrement accidentogène », a-t-il affirmé. Plusieurs experts prouveront le contraire. On apprendra notamment que sur les 15 accidents mortels survenus à Monaco entre 2006 et 2024, seuls trois ont eu lieu à cet endroit.

Comme pour beaucoup de prévenus ayant repris le volant après avoir consommé de l’alcool, le mis en cause soutient dans le box qu’il ne se sentait pas ivre mais bien apte à conduire. « J’ai toujours estimé être un bon conducteur », ajoute-t-il avant de se faire contredire pas les chiffres inscrits dans son dossier : uniquement dans les Alpes-Maritimes, en six mois, 102 excès de vitesse ont été comptabilisés.

Une famille brisée

La femme de la victime s’approche à la barre. « Ma vie s’est effondrée, témoigne-t-elle la voix tremblotante, aux côtés de son fils aîné de 24 ans, le plus jeune étant âgé de 12 ans. Mon mari est mort dans des conditions terribles et violentes… J’ai perdu ma moitié après 26 ans de vie commune. Je pleure en tant qu’épouse mais aussi en tant que mère. Mon fils m’a beaucoup aidé, il a pris les choses en main et a contacté un avocat. Pour ma part je survis, je suis suivie psychologiquement et psychiatriquement. » Me Christophe Ballerio précisera également la situation économique précaire dans laquelle la famille a été plongée suite à l’accident puisque la mère venait de subir un licenciement économique et que le travail du père constituait la seule source de revenus.

« Je sais que mes mots ne valent rien face à tant de souffrance, mais je vous demande pardon. Je regrette tous les jours depuis 15 mois ce qu’il s’est passé », s’exprime celui qui était chef d’entreprise. Des excuses entendues de tous, mais qui arrivent trop tard selon l’avocat. « Je suis effrayé par ce comportement détaché et son absence d’empathie. Le casque de la victime a ripé sur son véhicule sur 90 centimètres, et il maintient qu’il n’a rien vu, rien entendu ? C’est insoutenable. Avant l’audience, ses déclarations étaient lunaires, glaçantes, alors qu’une famille a été brisée. »

En pesant ses mots, la procureure se lève : « nous sommes face à une tragédie incommensurable, et l’audience ne sera jamais à la hauteur de votre chagrin, prononce Valérie Sagné en adressant un regard tendre vers les proches. Quant à Monsieur, il va devoir vivre avec un mort sur sa conscience, encore faudrait-il que sa conscience soit endeuillée. » Le parquet va requérir cinq ans et demi d’emprisonnement ainsi qu’une amende de 5 000 euros, la peine maximale encourue étant fixée à six ans.

« Mon client n’est pas un monstre »

L’avocat de la défense Me Oleksandr Ovchynnykov n’est pas de cet avis : « mon client n’est pas un monstre. Il est complètement anéanti par cette situation, contrairement à ce qu’il montre. Sa copine l’a quitté, il n’a plus de business, et sa fille a dû retourner en Ukraine ». Le président et les assesseurs se retirent pour délibérer, le temps pour le prévenu de faire une dernière prière. Mais la sentence tombe et la peine n’est qu’allégée de peu au regard des réquisitions : cinq ans de prison ferme (dont les mois de détentions déjà effectués seront déduits) et 2 000 euros d’amende.

Le tribunal ordonnera également la confiscation du véhicule et prononcera une interdiction de conduire à Monaco pendant cinq ans. Pour ce qui est des demandes de dommages-intérêts formulées par la partie civile, il renvoie sur intérêts civils « au vu de l’importance des sommes ». La famille devait être fixée le 19 avril prochain à ce sujet. « Peu importe le montant que le tribunal allouera, il ne remplacera jamais la perte d’un mari et d’un père », a insisté Me Christophe Ballerio qui a d’ailleurs précisé en cours d’audience que 10 000 euros avaient déjà été cédés à la famille de la victime.