Samuel Trèves : une success story familiale à l’épreuve d’un procès inédit
Au terme d’un procès retentissant dans la Principauté, Samuel Trèves a été relaxé, en première instance, des charges qui pesaient contre lui et son cultissime bar-restaurant, le Sass’ Café.
Retour sur la vie et la carrière d’un entrepreneur qui a fait de sa famille la pierre angulaire d’un succès jamais démenti, à Monaco et au-delà des frontières de la Principauté.
Un soulagement – comme la fin d’un mauvais rêve, ou d’une mauvaise plaisanterie, qui n’aurait que trop duré. Et même, parce que l’intéressé aura trop de pudeur pour le concéder lui-même, « une immense satisfaction » – comme pouvait, lui, se permettre de le dire son avocat, Maître Antoine Vey.
Au terme d’un procès de trois jours, Samuel Trèves a été relaxé, le 15 mai, dans l’affaire de proxénétisme impliquant l’établissement monégasque dont il est le gérant. Et pas n’importe quel établissement : le Sass’ Café, un pilier, depuis trois décennies, de la vie nocturne de la Principauté.
« Un dossier volumineux mais vide »
Le procès d’un entrepreneur et de ses employés, c’est celui d’une certaine conception monégasque de la prostitution qui s’est, du 3 au 5 mai, tenu devant le tribunal correctionnel de Monaco. A la barre comparaissaient huit prévenus : Samuel Trèves, le gérant et représentant légal du Sass’Café ; le manager de l’établissement, deux de ses agents de sécurité et une hôtesse d’accueil ; ainsi que trois autres personnes extérieures au personnel du bar-restaurant. La SARL Sass’ Café était, en tant que personne morale, elle aussi poursuivie.
Tous étaient soupçonnés, à divers degrés, d’avoir pris part à ce que l’accusation à chercher à faire reconnaître comme une « politique institutionnalisée » vis-à-vis de clientes prostituées. Et de s’être, ainsi, livrés au proxénétisme.
L’affaire éclate en 2020. Alors que des policiers français et monégasques enquêtent conjointement sur un trafic supposé de stupéfiants, deux travailleuses du sexe mettent les enquêteurs sur la voie d’un possible réseau de prostitution sévissant en France et à Monaco.
Plusieurs établissements monégasques sont dans le viseur des limiers de la police. Le Sass’ Café en fait partie, et pour cause : la prostitution n’est pas illégale dans la Principauté, au contraire du racolage et du proxénétisme. Des prostituées fréquentent le bar-restaurant, où les policiers découvrent que certaines tables leur semblent réservées.
Ils apprennent aussi que quelques employés rendraient, contre rétribution, certains menus services aux travailleuses du sexe. Une compensation financière qui pourrait, selon les enquêteurs, s’apparenter à une forme de proxénétisme.
Ces suspicions ont-elles tenu devant le tribunal ? En grande partie, non. Si des pourboires étaient bien versés par les prostituées à certains employés du Sass’, « il n’a pas été établi (que ses dirigeants) avaient été acteurs et à l’initiative du recrutement des prostituées », a concédé le premier substitut Valérie Sagné.
« Il n’a pas été démontré, non plus, que l’équilibre financier du Sass’ Café dépendait complètement de l’activité prostitutionnelle à l’intérieur », a aussi reconnu la représentante du ministère public lors de l’audience, la magistrate excluant, de ce fait, de requérir la fermeture administrative de l’établissement.
Les avocats de certains des employés du Sass’ n’en demandaient pas tant, eux qui ont eu beau jeu de dénoncer « un dossier volumineux mais vide », rempli de simples « rumeurs, d’ouï-dire, de on-dit ».
Le procès d’une « réalité monégasque »
Et si, au terme des trois jours qu’il aura duré, ce procès n’était pas tant celui du Sass’Café, de ses dirigeants et de ses employés que celui d’une certaine « réalité monégasque »? Comme l’a rappelé l’une des prévenues à la barre, « la prostitution est autorisée à Monaco, alors pourquoi les refuser (dans l’établissement) ? Ce sont des clientes comme les autres ».
Alors que la plupart des travailleurs du sexe exerçant à Monaco sont dûment enregistrés auprès de la police locale, Samuel Trèves a fait valoir devant la cour la nécessité, pour les propriétaires de bars et autres boites de nuit, de réguler « une réalité monégasque » – qui, sinon, se déploierait sur la voie publique.
Une ligne de défense reprise, avec succès, par l’avocat du quadragénaire, selon lequel « l’audience a permis de mettre à jour qu’il n’y a aucun dysfonctionnement » dans la gestion, par Samuel Trèves, de son établissement.
« Dès le début », s’est réjoui Me Antoine Vey à l’annonce de la relaxe du patron du Sass’, « les éléments du dossier démontraient l’innocence de (son) client ». « C’est le procès de l’hypocrisie et de l’amalgame », s’est emporté l’avocat d’un autre prévenu ; ou encore « le dossier du fantasme », a fulminé un troisième.
Des fantasmes qui n’ont pas, cependant, été sans conséquences sur la vie personnelle des accusés. Comme l’a rappelé Me Vey, « cette procédure a eu un impact dommageable sur (la) réputation » de Samuel Trèves.
A la barre, ce dernier, qui s’est estimé « trahi », n’a d’ailleurs pas hésité à lancer aux magistrats que se tenait « devant (eux) une belle personne, un chef d’entreprise qui travaille dur ». « Mon nom a été sali », a conclu celui dont le nom, justement, est associé à certaines des plus belles pages de l’histoire récente de Monaco.
Du « restaurant de copains » à l’institution des nuits monégasques, le « virus » familial du Sass’
Car Samuel Trèves n’est pas n’importe qui à Monaco. « Samy », pour les intimes – et ils sont nombreux, comme on va le voir – est une véritable figure sur le Rocher.
Un phare dans la nuit monégasque. Une lumière qui, depuis vingt ans, illumine de son sourire les soirées les plus endiablées. Et dont même au cœur de la fête la plus folle le regard, imperturbablement, se dirige vers cette table du Sass’ Café, tous les jours, toujours la même : celle où trône son père, Salvador Trèves.
Une autre légende de Monaco. Sass’, c’est lui, c’est son surnom, hérité d’un quolibet attribué par son instituteur de Beausoleil. Né en 1937 à Barcelone, Salvador fuit avec ses parents l’Espagne franquiste pour Marseille, avant de s’improviser prestidigitateur sur des bateaux de croisière, puis d’ouvrir en 1971, à Monaco, sa première discothèque, le Tiffany’s.
Déjà fréquenté par le gotha de l’époque – Sacha Distel, Dalida, Jacques Brel, Claude François –, le Tiffany’s est un succès. Quelques années plus tard naît Samy, du mariage de Salvador avec Yolande, qui dirige plusieurs boutiques de prêt-à-porter dans la Principauté. Et c’est en 1993 que Salvador Trèves jette son dévolu sur un restaurant alors à la peine, l’Horloge, qu’il transforme de fond en comble.
Le concept du Sass’ : un restaurant de quelques dizaines de couverts, un pianiste pour l’ambiance musicale, et une attention particulière aux tranches horaires nocturnes. « Au départ, on voulait faire un restaurant de copains », se souvient Yolande : « et puis on a fait évoluer la formule au fil du temps ».
A partir de la fin des années 1990, les nuits se prolongent en effet, avec l’aide d’un DJ maison, jusqu’à 4 heures, voire 5 heures du matin. La formule prend. Les habitués reviennent. Les stars aussi. Une légende est née.
Mais les époux Trèves ne sont pas de la dernière pluie – comme ils le concèdent eux-mêmes. « Le truc », reconnaît volontiers Yolande, « c’est qu’on n’a pas vieilli avec nos clients. Pour ça, il a fallu accepter l’arrivée de nouvelles générations. Cette nouvelle génération, c’est notre fils, Samy, qui l’a prise en main ».
A 19 ans à peine, le jeune Samuel fait ainsi ses classes dans l’ombre de ses parents. « Mon père m’a mis très jeune le pied à l’étrier. J’ai appris le métier à ses côtés », se souvient Samy : Salvador « m’a appris ce que l’on apprend à un enfant, à savoir le respect. Le respect des gens qui travaillent pour nous et avec nous. Il m’a également appris le sens de l’hospitalité ».
Un ADN familial de la fête que Samy ira perfectionner, en 2004-2005, dans la capitale européenne du clubbing, Londres. Avant de revenir, bardé de nouvelles idées, à Monaco, où il succède définitivement à son père à la tête du Sass’ Café.
« Nous sommes comme un arbre »
Sous la houlette de Samuel Trèves, le piano-bar continue d’affermir sa légende. Et les célébrités de passage de garnir le « hall of fame » du Sass’ Café. Alicia Keys, Isabelle Adjani, Zinédine Zidane, Michael Jordan, Leonardo DiCaprio, Jennifer Lopez, Kevin Costner, Jean-Claude Van Damme, Mike Tyson, Hugh Grant, Gad Elmaleh, Matt Damon, Enrico Macias, Will Smith, Jay Z, Beyoncé, Bono et le groupe U2, Eva Longoria, Raymond Domenech, Robert Wagner, Cristiano Ronaldo, Lady Gaga, Sharon Stone, Kylian Mbappé, Bradley Cooper, Matthew McConaughey, sans oublier le Prince Albert : toutes et tous sont passés, souvent revenus, au Sass’ Café.
Avec chacun d’entre eux, Samy a pris la pose, dansé jusqu’au bout de la nuit ou poussé, au piano, la chansonnette. La recette pour attirer toutes ces stars ? Un sens, aigu, du relationnel, bien sûr, cette indispensable qualité humaine que se partagent, à égalité, Samy et son fêtard de père.
Mais pas seulement. « Nous avons toujours respecté les célébrités qui viennent chez nous », confiait récemment Samuel Trèves, à l’occasion des 30 bougies de l’établissement : « nous n’avons jamais fait venir la presse. Les célébrités se sentent donc véritablement en confiance ».
« Je dis toujours que le Sass’ Café est un club de membres sans être membre », explique encore celui qui conçoit le business familial « comme un arbre. Nous sommes capables de grandir parce que nous avons des racines solides, grâce à mon père. Lorsque j’ai pris le train de l’entreprise familiale en marche, ma tâche principale était de mettre du charbon dans le feu et de continuer à faire rouler le train. Bien sûr, nous devons maintenir notre élan ».
Et ce ne sont pas les idées qui manquent à Samuel Trèves pour faire foncer la locomotive Sass’… à toute vapeur.
Une carrière consacrée par les plus hautes autorités de Monaco
C’est que Samy a été à bonne école : celle de son ami d’enfance, Riccardo Giraudi, avec qui il a lancé le restaurant Le Bouchon (aujourd’hui La Cantinetta) ; celle du ponte de la Formule 1 Flavio Briatore, avec qui il s’est associé dans le restaurant Cipriani ; ou encore celle de la Société des Bains de Mer (SBM), avec laquelle il a contribué à redresser le Jimmy’z.
Alors, après l’échec d’une implantation à Dubaï – « une superbe aventure mais nous étions au mauvais moment, au mauvais endroit », dixit Samy –, c’est en Arabie saoudite que l’enfant chéri de Monaco a décidé, en décembre dernier, d’ouvrir un restaurant éphémère, au cœur du désert d’AlUla.
« Aujourd’hui, nous sommes prêts et nous devrions annoncer d’ici quelques mois une série d’ouvertures, en franchise, à l’étranger », annonçait alors le jeune entrepreneur. Dont acte : un nouveau Sass’ Café devrait, en effet, voir le jour d’ici à la fin de l’année dans le cadre prestigieux du Corinthia Bucharest, l’un des hôtels les plus luxueux de la capitale roumaine.
Mais c’est à Monaco, où il est né, que ses pas ramènent toujours Samuel Trèves. A Monaco, toujours, qu’il a lancé « son » restaurant, inspiré de ses incessants voyages au bout du monde : The Niwaki, un nouvel établissement japonais qui fait le pari, réussi, de la fusion des cuisines orientales et méditerranéennes.
Dans une décoration chic et cosy imaginée par l’architecte Rashid Rivani, les clients du Niwaki peuvent déguster sashimis, tempuras et autres makis confectionnés à partir des ingrédients les plus rares et prisés – sans oublier, pour le spectacle, un sushi bar et, pour que l’immersion soit la plus complète, des toilettes automatiques « à la japonaise ».
Un joli succès de plus pour le fils Trèves, qui lui vaut d’être considéré par les autorités monégasques comme l’un des « principaux représentants et employeurs de la restauration à Monaco ».
Laver l’honneur de la famille
Cette consécration sera-t-elle été ternie par « l’affaire du Sass’ Café » ? Nul doute que, pour ce père de quatre enfants qui fait passer la famille – et le football – avant toute autre considération, la procédure a nécessairement représenté un choc.
Conséquence immédiate : les travailleuses du sexe ne sont plus admises au Sass’, sans que cela n’ait eu d’effets sur le chiffre d’affaires.
Relaxé en première instance, Samuel Trèves demeure, dans l’attente d’un éventuel appel du ministère public Parquet Général, présumé innocent. Une première victoire qui lui a permis de laver son honneur et, surtout, celui de son nom et de sa famille.
Famille vers qui Samy compte se tourner toujours : « peut-être qu’un jour, l’un de mes enfants prendra la relève, comme je l’ai fait avec mon père », se prend-il à rêver.
En distribuant, déjà, ses conseils à ses futurs héritiers : le plus important, c’est « le respect. Respecter les clients, les employés, et traiter chacun comme quelqu’un d’important. C’est ce que nous faisons (au Sass’ Café) et je crois que c’est la raison pour laquelle nous sommes là depuis 30 ans ».