Un air d’Alsace sur le Rocher : Marie-France Heckmann, la nouvelle organiste de l’orgue monégasque
Organiste depuis toute petite, Marie-France Heckmann a accompagné les messes en Alsace depuis 37 ans avant de prendre la place d’organiste suppléante à la cathédrale de Monaco en mai 2024. Portrait de l’une des rares femmes organistes.
Toute passion commence par une rencontre. Pour Marie-France Heckmann, cette rencontre a eu lieu à la messe. « Je me souviens très bien quand j’étais jeune et qu’on allait à la fête patronale de la paroisse de ma maman, il y avait toujours un organiste qui jouait la fameuse Toccata en ré mineur de Bach ». C’est la révélation pour Marie-France : « Qu’est-ce que c’est beau », se souvient-elle avoir pensé, « j’aimerais bien jouer de cet instrument ! »
Cependant, il n’est pas toujours évident de trouver un professeur d’orgue. Marie-France Heckmann a d’abord commencé sur un piano, puis s’est exercée avec un orgue électronique mais les sensations ne sont pas les mêmes. Heureusement pour l’organiste en devenir, à 14 ans, le professeur est trouvé.
Originaire d’Alsace, qu’elle vient récemment de quitter pour rejoindre Monaco, Marie-France se souvient encore de ses premiers cours : en octobre, sous 5 à 10 degrés dans les églises froides à cette période de la région. Un contraste saisissant avec la chaleur de la cathédrale de Monaco, où la température avoisine les 30 degrés en ce mois d’août.
A peine deux mois après son premier cours, l’organiste de son village la projette sur le devant de la scène. « L’organiste qui était très âgé, m’a dit ‘mais tu pourrais prendre la suite !’ », se souvient Marie-France. Ni une, ni deux, la jeune organiste se retrouve à jouer durant le premier dimanche de l’Avent. « Au moins je n’avais pas à jouer le grand Gloria, sans doute un peu compliqué pour moi qui débutais. »
Continuant studieusement ses cours d’orgue, ce n’est que six ans plus tard que Marie-France passe une audition à l’église des Jésuites de Molsheim sur l’orgue historique Silbermann. A l’issue, le chef de chœur organiste lui propose de jouer pour les messes. Heureux hasard, la messe du village de Marie-France est à 8h45 et celle de Molsheim à 10h30, juste le temps pour elle de jouer à domicile puis de filer à Molsheim pour faire vibrer les murs de l’église et le cœur des fidèles.
« Quand on aime, on ne compte pas ». Et c’est ainsi que pendant 37 ans, Marie-France Heckmann a comblé de son talent les fidèles de Molsheim et de son village.
L’arrivée dans le sud
Comme pour toute sa vie et tous ses projets, son arrivée à Monaco relève d’un concours de circonstances et probablement aussi de talents même si Marie-France Heckmann, de par son humilité et sa gentillesse, ne l’avouera que difficilement.
Alors que l’orgue de Molsheim, dont Marie-France Heckmann est titulaire, est relevé en 2018, elle décide de prendre quelques vacances au soleil à Nice. Lors de son séjour dans le sud, elle se renseigne sur quelques activités à faire et découvre l’orgue de Monaco. L’idée de jouer dessus ne lui vient pas à l’esprit, mais elle souhaite le voir de plus près.
C’est par un de ses amis organistes, Thierry Mechler, qu’elle parvient à obtenir l’adresse d’Olivier Vernet, le titulaire de l’orgue de Monaco, à qui elle envoie un mail. Heureux hasard, ce dernier a déjà joué à Molsheim. Absent, au moment du séjour de Marie-France Heckmann, ce sera finalement Marc Giacone, compositeur organiste monégasque, titulaire du Cavaillé-Coll de la chapelle des Carmes qui l’accueillera. Elle se souvient précisément de la date de sa rencontre avec l’orgue : le 4 janvier 2019, 15 heures.
Finalement, quitte à découvrir l’orgue, on lui propose également de jouer. « J’étais un peu perdue au début puisque mon instrument à Molsheim avait 22 jeux et deux claviers. A Monaco, nous sommes à 84, 4 claviers et un combinateur avec 29 999 possibilités », avoue l’organiste. « C’est comme être à la fois chef d’orchestre et musicien », explique-t-elle.
Sur le départ, Marc Giacone lui propose de revenir pour faire un concert à Monaco. « Moi petite Alsacienne », Marie-France Heckmann n’y croit pas mais se laisse convaincre quelques jours plus tard et produit un concert le 22 juin 2019, dans le cadre du Festival In Tempore Organi sur l’orgue de l’église Sainte-Dévote.
Une opportunité en or
Alors que Silvano Rudi, organiste titulaire de l’orgue de Sainte-Dévote lui apprend qu’il part à la retraite, Marie-France se dit : « Pourquoi pas m’enrichir d’une nouvelle expérience dans ma vie ? Je viens de passer la cinquantaine, c’est peut-être le moment ou jamais de tenter autre chose. »
Elle participe donc au concours pour le remplacer et apprend entre-temps que le Père Daniel recherche un nouvel organiste suppléant à la cathédrale de Monaco. « J’ai tout à coup, deux postes qui s’offrent à moi ! » Première ex aequo avec un autre candidat, elle est finalement recrutée « pour monter sur le Rocher ».
« Quand je suis arrivée à mon premier poste d’organiste dans mon village, c’était plus ou moins dans l’urgence. J’ai répondu présente. A Molsheim, pareil, on avait besoin de moi. » Et l’on pourrait dire rebelote avec Monaco puisque Marie-France Heckmann prend le relais du suppléant à la volée. Arrivée tout récemment, en mai 2024, elle nous avoue en souriant qu’ « il y en a beaucoup en Alsace qui ne savent même pas encore que je suis là. »
« C’est un grand honneur de pouvoir jouer ici et de pouvoir servir la paroisse cathédrale de la Principauté de Monaco tout en travaillant en très bonne collaboration avec les titulaires Olivier, Jean-Cyril et la Maitrise de la cathédrale et des Petits chanteurs. Il faut que je me pince pour pouvoir dire que c’est vrai », nous confie-t-elle.
La petite touche alsacienne
« Cela fait 32 ans que je joue sur un orgue baroque donc je me démarque un petit peu. Le baroque c’est un peu ma spécialité. » L’occasion pour l’organiste, admiratrice de Bach, de développer son champ d’expertise en allant sur du romantique et du symphonique, ce que permet l’orgue de Monaco.
Pour elle, la musique est au service de la liturgie et c’est tout aussi bien le côté spirituel que le côté artistique qui lui ont tout de suite plu dans l’orgue. La musique « embellit la liturgie et élève l’âme du croyant. » « La musique en général fait du bien et ce n’est pas pour rien qu’il existe la musicothérapie », ajoute-t-elle, « je peux transmettre ce bonheur aux gens qui m’entendent. C’est une communion qui se crée. »
Autre corde à son arc, Marie-France Heckmann chante : « lors de mes veillées mariales, je chante aussi tout en accompagnant. J’ai déjà pu intervenir lors des messes lorsque le chantre ou la chorale étaient absents. »
Le Monstre de Monaco
Instrument particulièrement impressionnant, l’orgue sait tout faire ou presque. Ses dimensions hors normes lui ont donné le surnom de « Monstre ». Suspendu dans le vide de la nef, l’orgue dispose de 4 claviers, 84 jeux et environ 7 000 tuyaux.
Pour ce nouvel orgue inauguré en 2011, une partie de l’ancien matériel de l’orgue précédent a été réutilisée et intégrée au « Monstre ».
Le jeu de lumières n’aura échappé à personne et, là encore, fait de cet orgue un instrument unique en son genre et surtout une première mondiale. Il est possible de modifier les lumières à sa guise et même de les éteindre pour profiter du beau bois. Marie-France nous confie apprécier tout particulièrement le bleu pour la Sainte-Vierge et notamment pour les mariages.
« Le fait que je sois là ici et maintenant, c’est juste quelque chose d’incroyable. Mon objectif est de servir la liturgie, ma paroisse et vivre de ma passion tout en partageant le plaisir que l’on peut avoir en jouant de la musique dans le cadre de concerts ou d’offices », conclut-elle.