Soins palliatifs à Monaco : « La mort fait partie de la vie… elle ne se décide pas, mais elle s’accompagne »

Dans un entretien exclusif, Franck Lobono détaille les contours du projet de loi n°1081 qui vise à garantir l’accès aux soins palliatifs, plaçant la dignité du patient et la prise en charge de sa souffrance au cœur du dispositif.
Le Conseil National de Monaco examine actuellement le projet de loi n°1081 visant à garantir l’accès aux soins palliatifs pour les patients en phase avancée ou terminale d’une maladie grave. Cette initiative s’inscrit dans une démarche de concertation approfondie, illustrée récemment par la venue de Jean Leonetti, ancien ministre français et expert reconnu sur les questions de fin de vie. Monaco Tribune s’est entretenu avec Franck Lobono, Président de la Commission des Intérêts Sociaux et des Affaires Diverses (CISAD), pour comprendre les enjeux de cette législation.

Un texte qui encadre et sécurise les pratiques actuelles
« Comme vous pouvez l’imaginer, la question de la fin de vie doit être appréhendée avec beaucoup d’humilité, » commence Franck Lobono. « Je veux tout d’abord préciser que ce projet de loi vise à encadrer les pratiques actuelles. »
Le texte apporte plusieurs avancées significatives selon le président de la CISAD : « Il renforce les droits des malades en leur accordant le droit de refuser l’acharnement thérapeutique lorsqu’ils sont confrontés à une maladie grave et incurable. Le texte leur accorde également le droit d’émettre une déclaration des volontés de fin de vie, ce qui est important. »
Au-delà des patients, la loi s’adresse également aux professionnels de santé. « Le projet de loi va plus loin. Il donne également un cadre aux médecins et leur apporte toutes les garanties pour accompagner dignement et légalement un patient en fin de vie. Il instaure la notion très importante de collégialité dans la décision de soins sans obstination déraisonnable, » explique Franck Lobono.
Toute décision doit être prise par plusieurs médecins
Les enseignements de Jean Leonetti : une rencontre « des plus enrichissantes »
Le 18 mars dernier, le Conseil National a reçu Jean Leonetti, auteur des lois françaises de 2005 et 2016 encadrant les droits des patients en fin de vie. « En 7 ans au Conseil National, ce fut sans doute une de mes rencontres les plus enrichissantes. Jean Leonetti a la sagesse et l’expérience ; il nous a éclairés sur les dimensions médicales, politiques et philosophiques de cette grave question, » confie Franck Lobono.
Sur le plan médical, le président de la CISAD rappelle les principes fondamentaux qui guident le texte : « Toute décision doit être prise par plusieurs médecins. À la base, un médecin est programmé pour soigner. La loi française, comme le texte monégasque, prévoit que les médecins ne s’obstinent pas dans le traitement et prennent en compte en priorité la souffrance du patient lorsque celui-ci est irrémédiablement condamné. »
Franck Lobono apporte également une précision importante sur la différence entre soins palliatifs et droit à mourir : « Le sujet des soins palliatifs pourrait amener certains à faire un amalgame avec le droit à mourir. Ce sont pourtant deux sujets très différents car le premier concerne un accompagnement médical et psychologique, et le second concerne une société qui autoriserait la programmation de la mort. »
Il ajoute une réflexion : « Face à la question de la fin de vie, il est essentiel de savoir respecter tous les avis car nul ne détient la vérité ! La priorité demeure le respect de la vie et tout doit être fait pour la préserver, tant que cela est possible. Le rôle du législateur est de préserver la vie dans ce qu’elle a de plus précieux, en offrant à chacun la certitude que notre société mettra tout en œuvre pour lui apporter la plus grande dignité, y compris lors de sa fin de vie. La mort fait partie de la vie et comme la naissance, elle ne se décide pas, mais elle s’accompagne. »
La dignité du patient au cœur du dispositif
Pour Franck Lobono, la dignité est la valeur centrale qui guide cette législation : « La dignité c’est prendre en charge la douleur du corps et de l’esprit. La souffrance c’est le physique, le psychique et toutes les peurs auxquelles un patient peut être confronté en fin de vie. Lorsque les soins palliatifs sont mis en place, c’est tout cela qui doit être pris en considération, avec une dimension humaine hautement prioritaire. »
Un processus de consultation approfondi
Avant le vote de ce texte sensible, la CISAD a initié un large processus de consultation. « J’ai souhaité que tous les élus soient le mieux informés possible et qu’ils puissent poser toutes les questions aux acteurs concernés, » précise Franck Lobono.
« Nous avons écrit à diverses institutions et associations locales pour recueillir leurs avis et nous avons reçu plusieurs personnalités ou entités afin d’échanger directement avec elles, en toute liberté. C’est dans ce cadre que nous avons reçu Monsieur Jean Leonetti, mais également Monseigneur Dominique-Marie David, Monseigneur Guillaume Paris, l’association Jusqu’Au Terme Accompagner La Vie (JATALV), le président de l’Ordre des Médecins, la Fondation Flavien et le personnel soignant du service des soins palliatifs du CHPG. »
Un service des soins palliatifs « exemplaire » appelé à se développer
Interrogé sur l’accès aux soins palliatifs au Centre Hospitalier Princesse Grace (CHPG), Franck Lobono souligne la qualité du service existant : « Le service des soins palliatifs du CHPG fonctionne déjà de façon exemplaire. Le Chef de service et les équipes sont remarquables. Aujourd’hui il y a 4 lits. Dans le futur hôpital, il semble qu’une dizaine soit prévue. Il faudra veiller à ce que ce service soit réellement renforcé car il est la pierre angulaire d’une fin de vie digne en Principauté et la seule garantie d’une réelle prise en charge de la souffrance par des équipes spécialisées ».
Il insiste également sur l’importance de l’accompagnement humain : « Selon nos échanges avec les différents interlocuteurs qui accompagnent les malades en fin de vie, la solitude, l’isolement et l’absence de prise en charge psychologique sont les raisons principales qui poussent les malades à vouloir en finir. Lorsque les patients sont accompagnés médicalement, psychologiquement et humainement, ils s’apaisent et oublient leurs idées noires. Les associations ont aussi un rôle très important aux côtés des soignants. Je voudrais également dire un mot sur la formation. Les médecins et le personnel soignant de tous les autres services devraient être mieux formés par les équipes des soins palliatifs, en gériatrie et en oncologie en particulier, pour mettre en place les bons soins de support quand cela s’impose et éviter les obstinations déraisonnables. Nous amenderons le texte dans ce sens ».
La question de la fin de vie est sans doute la plus sensible et la plus intime
Des dispositions claires contre l’acharnement thérapeutique
Le projet de loi apporte une définition précise de l’acharnement thérapeutique. « On y définit l’acharnement thérapeutique dans son article 15 comme des actes et traitements médicaux qui, au regard des données acquises de la science, apparaissent inutiles ou disproportionnés, » explique Franck Lobono.
Il souligne une nuance importante : « Il y est aussi précisé que l’hydratation et la nutrition ne sont pas considérées dans ce texte comme de l’obstination. Ce point reste très délicat car les spécialistes nous expliquent qu’une nutrition peut créer des affections chez des patients sédatés en toute fin de vie. Dans cet état, un patient ne souffre pas de faim ou de soif. Il faut laisser faire les professionnels des soins palliatifs dont la préoccupation prioritaire est toujours le confort du patient. Une erreur serait de croire que si l’hydratation était stoppée, un patient pourrait mourir de soif. Le patient décède de sa maladie mais pas de faim ou de soif ! En France, l’hydratation et la nutrition sont considérées comme de l’obstination déraisonnable. Nous devrons trancher pour être le plus juste possible, sachant que dans ces situations extrêmes, la décision est toujours très finement appréciée par les médecins ».
En conclusion, Franck Lobono reconnaît la difficulté du sujet mais souligne l’importance de la démarche : « la question de la fin de vie est sans doute la plus sensible et la plus intime. Associée à celle de la souffrance, il est de la responsabilité d’une société « moderne » de tout mettre en œuvre pour que le meilleur accompagnement soit mis en place. Ce texte vient inscrire les soins palliatifs dans la vie monégasque. Il pérennise et renforce les pratiques. C’est une très bonne chose et cela aidera la culture des soins palliatifs à se répandre bien au-delà du seul service dédié. Par nos apports au texte, je suis très heureux et fier de contribuer à l’avancée des soins palliatifs dans notre société et à une meilleure compréhension de ce qu’ils apportent à un patient ».