Nicolas D’Angelo, trois fois record monégasque du marathon : « Le corps humain peut aller incroyablement loin »

Nicolas D’Angelo, 31 ans, a récemment marqué l’histoire du sport monégasque en établissant un nouveau record national du marathon lors des Championnats d’Europe de Running en Belgique. Pour Monaco Tribune, l’athlète-juriste révèle les coulisses de cette performance exceptionnelle.
C’est une performance historique pour la Principauté. En bouclant le parcours entre Bruxelles et Louvain de 42,195 kilomètres en 2h27min11sec, Nicolas d’Angelo a non seulement amélioré son propre record et le record monégasque pour la troisième fois en deux ans, mais a également placé Monaco parmi les nations qui comptent sur la scène européenne du marathon. Rencontre avec un sportif d’exception qui concilie brillamment carrière juridique et performance athlétique de haut niveau.

D’une passion à une autre
Avant de briller en marathon, votre parcours sportif a commencé différemment. Pouvez-vous nous raconter cette évolution ?
J’ai débuté avec le vélo de route vers 15-16 ans, c’était ma première passion. Étant Monégasque, j’ai pu participer à des compétitions internationales en catégorie junior espoir : le championnat du monde en 2012 à Valkenburg, le championnat d’Europe, les Jeux Méditerranéens à Mersin, les Jeux des Petits États d’Europe au Luxembourg en 2013… J’étais d’ailleurs accompagné de Victor Langellotti, qui est aujourd’hui professionnel chez INEOS.
Mais un peu plus tard, j’ai suivi un tout autre chemin. À 19 ans, voyant la difficulté de concilier sport de haut niveau et études, j’ai fait le choix de me concentrer sur ma formation en droit. J’ai obtenu un master à Paris, puis j’ai poursuivi à King’s College à Londres pour une année supplémentaire. Une fois ce bagage universitaire acquis, je suis revenu à Monaco pour travailler dans un cabinet d’avocats, où je suis toujours actuellement.
Qu’est-ce qui vous a ramené vers le sport de haut niveau ?
Avec le Covid et les confinements, j’ai recommencé à faire du sport. La course à pied s’est imposée comme une évidence. J’ai réalisé que le bagage acquis en vélo était parfaitement transposable. Il faut savoir qu’en vélo, l’entraînement est très chronophage, avec 25 à 30 heures par semaine pour atteindre le haut niveau, ce qui est incompatible avec une vie professionnelle. En course à pied, avec 8 à 10 heures d’entraînement hebdomadaire, on peut déjà atteindre un niveau très intéressant, ce qui est tout à fait conciliable avec mon travail de juriste.
Des débuts fulgurants dans l’ultra-trail jusqu’à la spécialisation marathon
Comment s’est construite votre progression vers le marathon ?
J’ai d’abord débuté par le trail. Quelques mois après mes débuts, j’ai été invité à participer aux 90 kilomètres du Mont-Blanc à Chamonix, avec 6000 mètres de dénivelé positif. Malgré une préparation minimale, j’ai terminé 41ème sur plus de 1000 partants. J’ai alors réalisé que j’avais encore de bonnes prédispositions et que je pouvais viser des performances intéressantes.
Je me suis licencié à l’AS Monaco Athlétisme, tout en restant focalisé sur le trail et l’ultra-trail pendant un an ou deux. J’ai quand même participé au marathon de Paris en 2023, où j’ai pris le record de Monaco en 2h32min12sec, puis de nouveau en 2024 en 2h30min8sec. En parallèle, j’ai continué à participer à des ultra-trails, me qualifiant même pour celui du Mont-Blanc, qui est un peu la Mecque de l’ultra, avec ses 170 kilomètres et 10 000 mètres de dénivelé positif.

Mais je me suis vite rendu compte que cette discipline demandait trop d’heures d’entraînement avec des sorties en montagne de plusieurs heures, des demi-journées. C’était incompatible avec mon travail et créait une surcharge mentale et physique. Fin 2023, j’ai donc pris la décision de me focaliser uniquement sur la route, et cela porte déjà ses fruits avec ce fameux record en 2h27, qui plus est sur un parcours vallonné avec 300 mètres de dénivelé positif.
Quelles émotions avez-vous ressenties en franchissant la ligne d’arrivée avec ce nouveau record ?
C’est un mélange de sentiments. D’un côté, il y a la réalisation que toutes ces heures d’entraînement, ce dur labeur pendant plusieurs mois, portent leurs fruits. Il y a une fierté, une émotion, une sorte de consécration. Mais de l’autre côté, après plus de 40 kilomètres à une allure soutenue, on est aussi exténué physiquement et mentalement.
Paradoxalement, j’ai vraiment été envahi par les émotions le lendemain de la course, une fois reposé, quand j’ai pu prendre la mesure de ce qui avait été accompli. Mais étant de nature assez cartésienne, je pense déjà à l’après, à comment améliorer cette performance, à comment optimiser davantage. Je suis toujours dans cette quête d’amélioration.
Les secrets de la progression
Comment expliquez-vous votre capacité à repousser régulièrement ce record ?
La clé, c’est mon corps qui l’a. À force d’entraînement, il devient de plus en plus tolérant à la charge, à la contrainte. Si la planification se fait correctement, je peux progressivement augmenter le volume que mon corps peut supporter.
Lors de mon premier marathon à Paris, je ne pouvais pas dépasser 100-110 kilomètres par semaine sans risquer la blessure. Maintenant, je peux aller jusqu’à 140-150 kilomètres. Et si je continue de manière progressive, avec une augmentation graduelle, je peux continuer à augmenter le volume et les intensités d’entraînement.
Il y a aussi toujours des améliorations possibles au niveau de l’alimentation, du sommeil, de la récupération. Par exemple, je suis très sensible à la surexposition aux écrans, qui peut affecter mon sommeil et donc la qualité de mes entraînements. Ce sont des petits détails qui, cumulés, ont un grand impact sur la performance.
Et puis, simplement, trouver un parcours plus plat pour le prochain marathon me permettra d’abaisser encore mon temps de deux à trois minutes avec mon niveau physique actuel.
Ce qui est fascinant, c’est cette capacité du corps humain à s’adapter et à progresser…
Absolument, c’est la plus belle mécanique que nous ayons. C’est exceptionnel. Pour moi, c’est un véritable plaisir de courir le matin, quand il n’y a pas grand monde dans les rues de Monaco. Il y a une sensation très agréable, une forme de liberté.
Ce qui me rend vraiment accro, ce n’est pas la discipline en elle-même, mais de sentir ce corps qui évolue d’entraînement en entraînement, de contrainte en contrainte, de mois en mois. C’est incroyable. Ça nous rappelle chaque jour à quel point nous sommes vivants. J’apprécie particulièrement que cette progression soit mesurable chronométriquement, c’est tangible de voir chaque mois le chrono s’abaisser et l’allure augmenter.
La stratégie d’un marathon réussi
Quelle stratégie adoptez-vous pour tenir ces plus de 42 kilomètres ?
Globalement, il ne faut pas être dans le rouge jusqu’au kilomètre 25-30. Si on se sent déjà dans le dur, avec un rythme cardiaque élevé ou surchargé musculairement dans les deux premiers tiers du marathon, ça s’annonce mal pour le dernier tiers, avec un risque de perdre beaucoup de temps sur la fin.
Les sensations ne sont jamais linéaires. On peut avoir des petits coups de moins bien assez vite, puis se retrouver dans un état euphorique quelques kilomètres après. Il faut apprendre à ne pas paniquer quand il y a un petit coup de mou.
Un élément crucial est l’alimentation pendant la course. Notre corps a une capacité à courir sans apport glucidique pendant 1h15-1h30. Après, nous avons besoin de glucides externes pour éviter le fameux « mur du marathon ». J’ai une stratégie où je me ravitaille tous les 5 km, avec pour objectif d’absorber environ 70 grammes de glucides par heure.
La préparation en amont est tout aussi importante. Pour un marathon, j’augmente la charge d’entraînement jusqu’à deux semaines avant l’épreuve. Ensuite, je diminue l’intensité et le volume d’envron 30% par semaine pendant les deux dernières semaines.
Quelle importance accordez-vous à la nutrition au quotidien ?
C’est fondamental. Lors des journées intenses d’entraînement où je peux faire jusqu’à 30-35 kilomètres, la dépense calorique est considérable. Il y a des jours où je dépense 2000 calories rien qu’en sport, ce qui signifie que je dois ingérer jusqu’à 4000 calories au total pour éviter un déficit calorique qui augmenterait le risque de blessure et de surmenage.
Il faut manger équilibré, mais aussi se faire plaisir. Je ne me suis jamais refusé une pizza ou un hamburger pendant les périodes d’entraînement intensif. Ces aliments ont une concentration calorique importante qui peut être bénéfique.
Bien sûr, arrivé à un certain niveau, il faut être affûté pour courir vite. Perdre quelques kilos est utile, mais cela ne doit pas se faire au détriment de la forme physique et de la récupération.
Concilier vie professionnelle et sport de haut niveau
Comment organisez-vous votre semaine pour concilier votre travail d’avocat et vos entraînements ?
J’ai la chance d’habiter et de travailler à Monaco, ce qui me permet d’éviter les longs trajets que connaissent beaucoup de pendulaires. Je peux mettre à profit ce temps gagné pour m’entraîner.
Je me lève tôt, vers 6h-6h30, je m’entraîne pendant 1h à 1h30 autour de Monaco, puis je rentre, prends une douche, un petit déjeuner rapide et je suis au travail. Je termine vers 19h-19h30. Avec un contrat de travail monégasque de 39 heures par semaine, c’est tout à fait gérable. Pendant les semaines de grosse charge d’entraînement, je fais parfois une deuxième sortie entre midi et deux.
La vraie contrainte n’est pas tant le volume d’entraînement, qui ne dépasse jamais 1h30-2h par jour, mais plutôt les concessions sur le mode de vie. Je ne peux pas sortir tous les soirs et rentrer tard si je veux bien récupérer pendant les semaines intenses de préparation.
Mais cette discipline et cette rigueur qu’exige le sport sont totalement transposables dans le travail et d’autres aspects de la vie quotidienne. Je suis devenu plus consciencieux, plus discipliné, plus exigeant envers moi-même, ce qui est aussi un atout en entreprise. Je trouve que les mentalités ont beaucoup évolué depuis les années 2010, où l’on opposait encore souvent le sport et les activités intellectuelles. Aujourd’hui, on reconnaît que les deux peuvent s’enrichir mutuellement.
Objectifs et perspectives d’avenir
Quelles sont vos prochaines échéances et qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter pour la suite ?
Je vais essayer de faire un marathon en fin d’année, ou au plus tard début 2026, sur un parcours plus roulant et plus plat. Si je suis ma courbe de progression, viser un temps de 2h24 est tout à fait réaliste.
Je veux continuer à participer à des compétitions internationales avec Monaco et la Fédération Monégasque d’Athlétisme, que je tiens à remercier pour toutes ces expériences de vie exceptionnelles. C’est une chance et une fierté immense de représenter Monaco dans ces compétitions.

Ce qui m’a rendu particulièrement fier lors des Championnats d’Europe, c’est de voir Monaco trouver sa place dans le classement des nations. Nous avons devancé des pays comme l’Islande et la Bulgarie, et nous ne sommes qu’à quelques secondes de nations comme la Belgique, la Slovaquie ou la Slovénie, qui comptent plusieurs centaines de milliers, voire millions d’habitants. Cela légitime pleinement la présence de Monaco dans ces compétitions internationales.
Pour cet été, je vais me concentrer sur une préparation axée sur des distances plus courtes – 3000 mètres, 5 km, 10 km – pour travailler ma vitesse, afin qu’elle soit ensuite transposable sur des distances plus longues comme le marathon.
Ce que l’on peut me souhaiter, c’est de garder cet équilibre qui me permet d’être épanoui. Toutes les planètes s’alignent actuellement, avec un très bon équilibre de vie. Je tiens avant tout à remercier ma compagne Esther, pour sa présence et son soutien constants. Également mon entraîneur Thomas Navarro, pour son engagement et sa confiance indéfectible, ainsi que Laurent Di Gusto, pour ses conseils et son accompagnement précieux.

Je n’oublie pas Frédéric Choquart, Jean-Simon Battistel, Rodolphe Berlin, et l’ensemble de la Fédération Monégasque d’Athlétisme et de l’AS Monaco Athlétisme. Merci à eux pour leur soutien et les conditions qu’ils rendent possibles pour que je puisse évoluer sereinement. Rien de tout cela ne serait possible sans eux. C’est aussi un engagement pour mes proches, et se sentir en adéquation avec tout cela est peut-être le plus important, finalement.
