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Interview

Stéphane Mazevet : « C’est une vraie chance pour la région d’avoir un établissement comme l’Observatoire de la Côte d’Azur »

Stephane MAZEVET
Stéphane Mazevet est un astrophysicien et chercheur de renom, spécialiste de la modélisation des planètes et exoplanètes, directeur de l’Observatoire de la Côte d’Azur depuis 2021 © Observatoire de la Côte d'Azur

Stéphane Mazevet est depuis le 1er juillet 2021 le directeur de l’Observatoire de la Côte d’Azur, établissement de recherche de référence en sciences de la Terre et de l’Univers.

Physicien de formation, spécialiste de la modélisation des planètes et des exoplanètes, il a mené une carrière internationale avant de revenir en France, occupant notamment des postes à responsabilité à l’Observatoire de Paris, au CEA et au Los Alamos National Laboratory. Reconnu pour ses travaux sur la matière dans des conditions extrêmes, il est également engagé dans la diffusion des connaissances, comme en témoigne son ouvrage grand public Les exoplanètes et la vie dans l’univers. Nous l’avons rencontré à l’Observatoire de la Côte d’Azur pour évoquer les grandes missions et les spécificités du site niçois.

Pouvez-vous vous présenter ainsi que l’Observatoire de la Côte d’Azur ?

Stéphane Mazevet : Je suis le directeur de l’Observatoire de la Côte d’Azur, un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP). Concrètement, cela signifie que nous avons le statut d’une université, avec une organisation particulière : on parle de Grand Établissement, car nous dérogeons au Code de l’Éducation, notamment dans la composition de nos conseils et la manière dont le directeur est nommé. Nous sommes l’un des établissements composantes de l’Université Côte d’Azur.

L’OCA a été fondé à la fin du XIXe siècle par un mécène, le baron Bischoffsheim, issu d’une famille de banquiers. À une époque où la bourgeoisie construisait des villas sur la Côte d’Azur, lui a préféré bâtir un observatoire. Il a acquis les 37 hectares qui composent encore aujourd’hui le site du Mont-Gros, et a fait appel à l’architecte Charles Garnier ainsi qu’à Gustave Eiffel pour construire ce qui était alors le plus grand télescope du monde. La grande coupole abrite cet instrument datant de la fin du XIXe siècle, qui a été utilisé pendant une grande partie du XXe siècle. S’il n’est plus exploité pour la recherche aujourd’hui, il est toujours fonctionnel et a été entièrement restauré.

Le bâtiment accueille désormais un musée et propose des visites immersives. On y retrace notamment l’histoire des instruments utilisés derrière cette grande lunette, ce qui permet de suivre l’évolution de l’astronomie sur plus d’un siècle. L’objectif est aussi de permettre au public d’accéder à la science que nous produisons, de leur transmettre quelques notions et de les sensibiliser aux enjeux de l’astronomie et de l’astrophysique modernes.

Aujourd’hui, l’OCA compte environ 450 personnes réparties sur quatre sites. Le site historique du Mont Gros, ici à Nice ; un bâtiment au sein de l’Université Côte d’Azur, dont nous sommes membres ; un laboratoire dédié aux sciences de la Terre situé à Sophia Antipolis, sur le campus du CNRS ; et enfin un site d’observation à Calern, construit dans les années 1960. L’OCA est aujourd’hui l’un des trois grands établissements français spécialisés dans les sciences de la Terre et de l’Univers. À ses côtés, on trouve l’Observatoire de Paris, centré sur l’astronomie et l’astrophysique et l’Institut de Physique du Globe de Paris, qui se consacre aux géosciences. L’OCA se distingue en réunissant ces deux disciplines : l’astronomie-astrophysique et les sciences de la Terre.

Quelles sont les principales missions de l’OCA ?

En tant que Grand Établissement, l’Observatoire de la Côte d’Azur est régi par un décret qui définit précisément ses missions. La première est la recherche en sciences de la Terre et de l’Univers, qui couvre à la fois les géosciences, l’astronomie et l’astrophysique. Nous sommes engagés dans de nombreux programmes de recherche internationaux. Par exemple, nous contribuons à la construction d’instruments sur le télescope européen au Chili et sommes impliqués dans la quasi-totalité des grandes missions spatiales, à différents niveaux. Cela peut aller de la contribution d’un seul chercheur à l’analyse, jusqu’à la responsabilité scientifique complète d’une mission. Un exemple emblématique est la mission DART (Double Asteroid Redirection Test) et HERA sur les astéroïdes, dont l’un des principaux pilotes est Patrick Michel, chercheur ici à l’Observatoire et au CNRS.

Du côté des sciences de la Terre, nous sommes notamment engagés dans le déploiement et le suivi de réseaux de sismomètres, ainsi que dans le développement de technologies basées sur l’utilisation de la fibre optique.

La deuxième mission est celle de l’observation. En tant qu’observatoire, nous avons la responsabilité de collecter, archiver et mettre à disposition des données des missions ou des instruments. Cela concerne aussi bien l’astronomie que les événements sismiques. Ce travail est porté notamment par le corps des astronomes physiciens, un corps de fonctionnaires chercheurs qui ont cette responsabilité spécifique.

Troisièmement, nous avons une mission de formation, identique à celle d’une université. Nous formons des étudiants à tous les niveaux, de la formation continue jusqu’aux masters et doctorats. En astronomie et astrophysique, nous intervenons à partir du niveau master. En sciences de la Terre, nous formons dès la licence. Ces diplômes sont délivrés par Université Côte d’Azur.

Enfin, notre quatrième mission, et non des moindres, est la diffusion des connaissances. Il s’agit de rendre accessible au plus grand nombre les savoirs issus de nos disciplines. C’est dans cette optique que mes prédécesseurs ont lancé l’Universarium, notre espace muséal, et les visites de la coupole. Nous organisons aussi des conférences grand public, participons à des programmes avec les scolaires comme la Fête de la science, ou bientôt au Sommet des Nations Unies pour les océans (UNOC), en tant qu’acteur scientifique local. Nous nous mobilisons dès qu’il s’agit de partager notre expertise avec le public et les scolaires.

Quelle est la spécificité du site de Nice par rapport à d’autres observatoires, en Europe ou dans le monde ?

L’une des principales spécificités de l’OCA, c’est qu’il réunit à la fois les disciplines de l’astronomie, de l’astrophysique et des sciences de la Terre. Contrairement à d’autres grands établissements comme l’Observatoire de Paris, qui se concentre sur l’astronomie et l’astrophysique, ou l’Institut de Physique du Globe de Paris, centré sur les géosciences, nous travaillons sur ces deux champs complémentaires au sein d’un même établissement. Cette double compétence fait partie intégrante de notre identité institutionnelle.

Historiquement, une autre grande spécificité de l’Observatoire est notre expertise en interférométrie optique. Cette technique consiste à faire travailler plusieurs télescopes ensemble, de manière à simuler un télescope virtuel de la taille de la distance qui les sépare. Cela permet d’atteindre une résolution bien supérieure à celle d’un télescope unique. Cette approche technologique de pointe a été développée de longue date ici, notamment sur notre site de Calern, avec Antoine Labeyrie, qui était professeur au Collège de France. Toujous à Calern, nous avons le laser Lune, un instrument assez unique qui mesure la distance Terre-Lune et dont les technologies, utilisées initialement pour la recherche fondamentale, trouvent aujourd’hui des applications concrètes, notamment dans la surveillance de l’espace. Ce savoir-faire attire désormais des startups et des groupes industriels qui s’installent dans la région pour y développer leurs projets.

Enfin, nous avons une équipe de planétologie reconnue internationalement, avec des chercheurs de renom comme Alessandro Morbidelli, professeur au Collège de France, qui travaille ici sur la formation des planètes.

On arrive à entretenir ce lieu exceptionnel, à le faire évoluer

Quel constat faites-vous aujourd’hui sur l’état de la recherche en astronomie et en astrophysique ?

On vit une période exceptionnelle. Jamais nous n’avons eu autant d’instruments et de satellites en activité. L’astrophysique étant une science d’observation, plus on dispose d’outils, plus on recueille de données, et plus notre compréhension de l’Univers évolue rapidement. Je trouve qu’on a de la chance de vivre notre époque, puisqu’on a un boom d’instruments et de données, de choses nouvelles à exploiter. On assiste à des révolutions conceptuelles majeures : il y a seulement 30 ans, on découvrait la première exoplanète, à l’Observatoire de Haute-Provence. Aujourd’hui, on en a identifié près de 7 000. On sait désormais que la majorité des étoiles que l’on voit dans le ciel ont, ou ont eu, des planètes autour d’elles. Cela change complètement notre vision du cosmos.

Y a-t-il une fierté particulière ou un message que vous souhaitez transmettre au public ?

Je pense que c’est une vraie chance pour la région niçoise d’avoir un établissement comme l’Observatoire. Il y en a très peu dans le monde qui soient à la fois historiques et encore en activité. Il y a toute une dimension patrimoniale très forte. Une de mes grandes fiertés, c’est qu’on arrive à entretenir ce lieu exceptionnel, à le faire évoluer. Par exemple, la bibliothèque Henri Chrétien, où nous nous trouvons, a été entièrement rénovée grâce à la Fondation Dassault Histoire et la Fondation du Patrimoine.

Ce qui est remarquable ici, c’est que dans un cadre historique conçu par Garnier et Eiffel, on fait encore aujourd’hui de la recherche de très haut niveau, reconnue dans le monde. Cette juxtaposition entre patrimoine et excellence scientifique, c’est quelque chose d’assez unique. C’est pour cela que j’invite vraiment les gens à venir visiter l’Observatoire. C’est un lieu magnifique et un bien commun, un domaine de l’État et il est important que le grand public puisse y avoir accès.

En 2024, on approchait les 23 000 visiteurs, dont un tiers de scolaires. Mon objectif, c’est que tous les élèves de la région aient l’occasion de visiter l’Observatoire au cours de leur scolarité. On organise aussi des conférences grand public, des concerts en partenariat avec l’Opéra… Il y a beaucoup d’occasions de venir !